En janvier 1947, la soprano Grace Moore a toutes les raisons de penser que l'année commence plutôt bien. Elle est à Paris au Ritz, probablement l'hôtel qu'elle préfère au monde et dont elle est devenue au fil des années l'une des plus ferventes clientes. Son agenda de concerts est pratiquement bouclé jusqu'à l'année suivante et elle rencontre à chacune de ses apparitions la même liesse.
Le public l'aime ou plutôt continue de l'aimer, ce qui n'en finit pas de l'étonner. Elle a presque 50 ans, est une star depuis 1931 et a fait toute sa carrière dans le lyrique ce qui n'était pas forcément le meilleur chemin pour toucher la plus large audience. Et pourtant elle l'a fait, observant avec un sourire légèrement malicieux celles à qui elle a ouvert la voie et qui sont loin d'avoir la même longévité, pensez, entre autre, à Jeanette MacDonald.
Le succès de Grace Moore, originaire du Tennessee dont elle deviendra le "Rossignol", s'explique en partie par sa voix, évidemment, mais dut incontestablement à son physique qui enterra définitivement l'image des divas généralement en surcharge pondérale. Grace était jeune, fraîche, souriante et mince : en 1931, elle participait aux Ziegfeld Follies comme l'une des 10 plus belles femmes du monde ce qui n'était jamais arrivé pour quelqu'un capable de lancer un contre-ut.
Faisant ses classes à Paris, elle chantera à l'Opéra Comique avant de conquérir Covent Garden à Londres et faire un retour fracassant à New-York. Pendant 16 saisons, elle chantera au Met et donnera des concerts qui vont faire d'elle une des cantatrices les plus populaires, notamment en Europe.
Entre 1930 et 1939, Grace Moore va tourner 9 films qui vont contribuer à son immense popularité. Lancée à la MGM mais sans grand succès, ce n'est qu'à partir de 1934 et à la Columbia qu'elle va gagner ses galons de star, grâce surtout à "One night of love" dont le triomphe va surprendre tout le monde.
Grace n'a pas besoin du cinéma mais reconnaîtra qu'Hollywood va lui apporter cette touche glamour supplémentaire qui va la faire passer de créature déjà légèrement inaccessible (les scènes sont grandes à l'Opéra) à divinité de l'écran. Grace n'est pourtant pas une diva. Il lui arrive de temps à autre d'avoir quelques caprices comme de refuser de partager une affiche avec des artistes noirs (elle est du Tennessee) mais sa bonhomie et son perpétuel sourire, éventuellement un peu agaçant, la rendent attachante.
Non, il n'y a pas que l'opéra dans l'existence.
Il est probable que c'est à partir de 1936 qu'elle va être amenée à faire la connaissance de Marlene Dietrich dont elle va rapidement devenir une intime, comme elle est amie avec Gloria Swanson. C'est l'année où elle tourne sous les caméras de Joseph Von Sternberg "The king steps out". Hollywood étant une petite communauté, l'année d'après elle partage l'affiche avec Cary Grant que Marlene et Mae West avaient contribué à lancer au début des années 30.
Que partagent les deux femmes, c'est assez difficile à savoir, quoi qu'il en soit, Grace fait partie des gens dont Marlene fait régulièrement le thème astral en compagnie de son astrologue. On pensait à une composition lorsqu'elle joua une bohémienne dans "Golden earrings", pas du tout : Marlene avait l'âme gypsy et l'oeil rivé sur les étoiles.
En janvier 1947, c'est d'ailleurs une Marlene affolée qui tente par tous les moyens de contacter Grace Moore au Ritz. L'alignement des planètes est formel : les voyages en avion sont fortement déconseillés aux natifs du sagittaire et Grace est née en décembre. Marlene sait de plus que Grace va débuter une longue tournée de concerts en Europe du Nord qui va la mener en Allemagne, au Danemark et en Suède. Elle l'en conjure : qu'elle prenne le train.
Grace Moore remercie son amie et raccroche : elle va prendre l'avion bien sûr.
Une semaine plus tard, le 26 janvier, après un concert à Berlin puis un autre à Copenhague, Grace s'installe à bord d'un avion de la compagnie KLM afin de se rendre à Stockholm. Elle est en fort bonne compagnie puis qu'on lui présente le Prince Gustaf Adolph de Suède, prétendant au trône et qui va voyager avec elle. L'avion s'élance mais ne gagnera jamais les airs : il explose en bout de piste tuant tous ses occupants.
Grace Moore avait 49 ans, sans doute quelques années de concerts encore devant elle. On la pleura mais sans pourtant transformer sa disparition en drame national. 60 ans plus tard, il n'y a plus guère que dans son Tennessee natal que des plaques commémoratives parlent encore d'elle.
Voilà pourquoi nous voulons nous souvenir d'elle, non seulement comme celle qui ne prit pas au sérieux les flashs de Marlene Dietrich (on ne rigole pas avec l'astrologie) mais comme une pionnière qui tenta de mettre l'opéra à la porté de tous. Bon, sans succès avec nous pour ne rien nous cacher mais tout n'est pas perdu. Nous avons depuis longtemps adopté sa salade d'orange au cèleri. Très fraîche, très légère, très Grace Moore en fait. Ce qui est assez suave et déjà ça.
1 commentaire:
Votre Suavité,
Marlene a toujours raison.
Elle dit être née en 1904 et son certificat de naissance affiche 1901 ? Complot de la RDA !
Elle trompe Jean Gabin avec le général John Gavin ? Ce n'est pas de sa faute, les noms se ressemblent tant! Cela nous est tous arrivé...
Marlene me guide tous les jours. A chaque moment je me demande : que ferait-Marlene ?
Quand j'enfonce des aiguilles chauffées à blanc sous les ongles d'un hérétique (fan de Garbo).
Quand je mets de la chantilly dans ma choucroute pour la rendre plus suave.
Notre Marlenitude.
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