En 2001, un des producteurs de la maison de disques britannique Trunk Records était sur le point de réaliser un rêve sur lequel il travaillait depuis de longs mois : rencontrer son idole, l'homme dont il collectionnait tous les disques, le seul et l'unique Mike Sammes, peut-être un des trésors musicaux les mieux gardés du Royaume Uni, retiré depuis fort longtemps dans sa petite maison de Reigate dans le comté du Surrey.
A 73 ans, Mike Sammes était totalement oublié des foules quant il avait été, dans les années 50 et 60, l'homme le plus demandé de l'industrie du disque et pas uniquement britannique. On le sollicitait comme arrangeur, comme compositeur mais surtout comme choriste. Les Mike Sammes Singers, crées en 1962, était la réponse de l'Angleterre à Ray Conniff et aux Swingle Singers, un ensemble vocal époustouflant de maîtrise et de décontraction. Un groupe suave comme on en croisa rarement.
En compagnie de ses chanteurs, Mike Sammes enregistra une dizaine d'albums entre le début des années 60 et le milieu des années 80 mais devint surtout l'homme le plus occupé de l'industrie musicale. Car si les disques étaient la face visible de ses activités, la perfection des Mike Sammes Singers poussa pratiquement tout le monde à les vouloir en studio d'enregistrement.
Et c'est certainement le point le plus invraisemblable de la carrière de Mike Sammes : l'incapacité d'établir avec exactitude la liste des noms des personnalités avec lesquelles il collabora. Apparaissant à de rares exceptions sur les pochettes, son nom n'était la plupart du temps pas mentionné. On sait donc qu'il chanta derrière Shirley Bassey et Cliff Richards, Judy Garland et Françoise Hardy, qu'il s'occupa des "wooo" sur "I am the walrus" des Beatles et des choeurs sur une poignées de chansons d'Olivia Newton John. Il chanta pour Marlene Dietrich et Burt Bacharach, Streisand et Sinatra. Pour qui d'autre fit-il des "doo ahh" et des "tah tah tah" : mystère !
Rendant les choses encore plus complexes, les Mike Sammes Singers prêtèrent leurs voix à des génériques de séries télévisées, à des bandes originales de film comme le très nécessaire "Prudence et la pilule" de Bernard Ebbinghouse, à des jingles commerciaux pour la radio. Mike Sammes composa de la musique au mètre pour des films institutionnels et pour des spots de communication interne, réalisée dans le très humble studio de sa petite maison.
Et de façon plus luxueuse, les Mike Sammes Singers furent les choristes attitrés du compositeur et arrangeur Tutti Camarata qui, associé avec les studios Disney, produisit près de 300 disques allant de productions maisons (Les Aristochats, L'apprentie sorcière) en passant par des succès de Broadway ou de la vulgarisation de musique classique.
C'est pour parler de tout cela, de cette prodigieuse force de travail et cette immense production que le producteur de Trunk Records en ce début de 2001 traqua littéralement Mike Sammes pour finalement découvrir qu'il était souffrant, à l'hôpital et en assez mauvaise forme. Finalement la rencontre tant espérée n'eut jamais lieu puisque Mike Sammes disparut le 19 mai 2001 mais c'est alors que l'histoire du dimanche prend toute sa saveur.
Le contact du producteur n'était autre qu'un voisin de Mike Sammes qui veilla sur lui jusqu'à sa mort, Mike étant sans enfant, jamais marié et sans réelle famille. Peu de temps après sa disparition, il appela le producteur pour lui demander de venir urgemment au domicile de Mike dans le Surrey : les compagnie d'assurances vidaient la maison afin de rembourser les quelques emprunts restant impayés et il était évident que de nombreuses choses pouvaient bien plus intéresser un amoureux du travail de Sammes que les pilleurs assermentés déjà à l'oeuvre.
Expérience sans doute perturbante, le producteur répondit à l'appel du voisin qu'il n'avait jamais vu et se retrouva dans la maison déjà en partie vidée de Mike Sammes qu'il ne connaissait pas plus, avec la possibilité de prendre tout ce qu'il jugeait digne d'être sauvé. Descendu de Londres à Reigate en voiture et n'ayant que quelques heures devant lui avant le retour des agents d'assurance, il comprit vite qu'il devrait faire des choix tenant surtout dans le coffre de son véhicule.
Visitant chaque pièce, le producteur découvrit des étagères de disques, de livres, des partitions, tous les arrangements réalisés par Sammes pour son groupe. Il trouva surtout des caisses de bandes, des masters de titres inconnus portant parfois le nom célèbre d'une marque de shampoing ou de biscuits apéritif. Il avait devant lui les originaux de tous les jingles publicitaires composés par Sammes, des bijoux de quelques dizaines de secondes qu'il connaissait de réputation sans jamais les avoir entendu à quelques exceptions. C'est cela qu'il choisit de sauver : 4 cartons de bandes jamais entendues depuis des décennies.
Mike Sammes est sans doute le seul homme au monde capable de vous faire chanter un hymne pour un tracteur hydrolique sans complexe. Et de vous donner irrésistiblement envie d'un Tuc à n'importe quelle heure de la journée.
Ramenant son trésor à Londres, le producteur passa des heures à écouter les pépites sauvées de la destruction ne sachant quoi en faire... ce qui est ironique lorsqu'on est producteur de disques et que l'on est en possession d'une quarantaine de compositions, pour certaines jamais entendues, de Mike Sammes, son idole. Evidemment, il décida d'en faire un disque, ce qui lui prit un certain temps de restauration. "Music for Biscuits" sortit en 2006 sur le label Trunk Records et est une curiosité qu'il est difficile d'écouter sans une certaine émotion. Autant de travail, de minutie, d'harmonie, pour vendre de la peinture ou des détergents. C'est beau. C'est suave.
1 commentaire:
"music for biscuits", voilà un album que Brian Eno doit écouter en boucle
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