En 1949, l'agent Henry Willson est ennuyé. A la tête d'un conséquent cheptel d'acteurs et de quelques actrices, l'ancien responsable du casting de David O. Selznick se désespère que ses derniers poulains ne progressent pas plus rapidement à Hollywood.
Henry Willson a pourtant à son actif de jolis succès personnels. Il a aidé la carrière de la jeune Lana Turner et a découvert Rhonda Fleming. Mais il a un faible et un flair pour les garçons chez lesquels il parvient à détecter un potentiel en quelques secondes. Il ne s'est pas trompé par exemple pour Guy Madison et regarde Rory Calhoun obtenir ses galons de vedette. Mais celui qui le tracasse est Roy Fitzgerald, un chauffeur de camion de 24 ans, tout juste libéré de la marine et dont il sent qu'il peut faire quelque chose.
Depuis qu'il s'appelle Rock Hudson, le jeune Roy, originaire de l'Illinois, attend son heure et suit à la lettre les conseils de son agent. Henry Willson lui a ainsi fait refaire les dents et lui a surtout donné ce nom qui fleure bon la virilité et les espaces sauvages. Solide comme un roc, libre comme le fleuve Hudson, Roy a bien conscience que tout cela est un peu ridicule mais il n'a qu'un agent et celui-ci a l'air de savoir ce qu'il fait.
Roy est de toutes les façons absolument malléable et prêt à tout pour devenir une star. Il a signé grâce à Henry un contrat de 6 mois à la Universal où il vient de tourner un film, "Undertow", dans une indifférence quasi générale. Le studio n'ayant pas la machine publicitaire de la MGM ou la Paramount, ses dirigeants signent à tour de bras de jeunes talents qu'ils lancent dans des seconds rôles et observent le résultat. Peu de spectateurs ayant remarqué Roy/Rock, il est évident que ses jours sont comptés.
Henry Willson sent donc l'urgence et se décarcasse afin de trouver l'idée qui mettra enfin Rock dans la lumière. Cela ne viendra pas, du moins pas encore, d'une de ses prestations, puisque le jeune homme n'est pas particulièrement doué et que sa réputation est entachée de la rumeur selon laquelle pour son premier et seul film à la Warner, il dût s'y prendre à 38 reprises pour lancer une simple réplique.
Il faut donc imaginer un coup comme celui qui permit à Rory Calhoun d'intéresser enfin la presse. La chose fut finalement assez simple : Henry lui fit accompagner Lana Turner à la première de "La maison du docteur Edwards" d'Hitchcock et murmura aux oreilles des journalistes que quelque chose se tramait entre les deux amis d'un soir. Dès le lendemain, Rory était en première page et intéressait tout le monde. Lana, quand à elle, était toujours heureuse de rendre un service et de passer une soirée avec un joli garçon, qui plus est potentiellement dangereux. La carrière de Rory fut stoppée lorsqu'on découvrit qu'il avait fait de la prison.
Spécialisé dans le pur-sang, Henry Willson avait cependant sous la main de nombreuses jeunes femmes prêtes à accompagner pour un soir un de ses protégés. Si Natalie Wood jouera parfaitement ce rôle dans la deuxième moitié des années 50, apparaissant innocemment aux bras de Tony Perkins ou Tab Hunter, à la fin des années 40, la partenaire préférée d'henry était Vera-Ellen qui avait déjà servi d'alibi à Guy Madison quand la presse se désespérait de ne lui connaître aucune fiancée.
Après quelques tours à Broadway, Vera-Ellen était apparue dans un musical RKO puis à la Fox avant de décrocher le gros lot : un contrat à la MGM. Elle venait de tourner dans "Un jour à New-York" avec Frank Sinatra et Gene Kelly. Elle était parfaite pour attirer les photographes.
L'idée qui surgit finalement dans l'esprit d'Henry Willson peut aujourd'hui paraître improbable : transformer Rock et Vera-Ellen en monsieur et madame Oscar, les peindre donc en or et les envoyer ainsi au Press Photographers Ball en croisant les doigts. Organisée chaque année au night-club le Ciro's, la soirée des photographes de presse d'Hollywood était un grand n'importe quoi pendant lequel les stars venaient déguisées afin d'amuser les photographes et ainsi les remercier d'être si gentils avec elles... autre temps avant les paparazzis.
Si la plupart des noms connus se costumaient en conservant un certain sens du glamour, la perspective de se rendre à la soirée en short et perruque dorée n'affola pourtant pas Rock. Vera-Ellen trouva simplement l'idée amusante et potentiellement payante. Elle n'était pas Ava Gardner et pouvait se permettre ce genre de dérive, qui ne manquerait pas de provoquer de nombreuses parutions dans la presse du lendemain.
Comme l'espérait Henry Willson, l'arrivée de Vera-Ellen et Rock provoqua une émeute et fut considérée comme le clou de la soirée. Mitraillée, Vera-Ellen était assurée d'une publicité toujours appréciable et passa la soirée à donner le nom de son partenaire que finalement personne ne connaissait mais avait terriblement envie de connaître... le charme du short ajusté sans doute.
Dans son livre "L'homme qui inventa Rock Hudson", Robert Hofler raconte que très intriguée, Louella Parson fit venir à sa table Vera-Ellen qui prit alors Rock par la main afin de lui présenter la commère. Ce fut officiellement la première interview de Rock.
Il est probable qu'un gros pot de peinture fit beaucoup pour la carrière de Rock. Universal, enfin attiré, non seulement renouvela son contrat mais le signa pour 7 ans. On lui fit prendre des cours de chant, de danse, de comédie et on le fit surtout tourner, beaucoup, 20 film en 5 ans jusqu'à ce que le miracle se produise en 1954 avec "L'obsession magnifique". Rock devint une star.
Mais le lendemain de son apparition en Oscar, Rock était bêtement malade, empoisonné par la peinture qu'il avait dû porter toute la nuit. Il se remit rapidement mais Henry Willson retint la leçon. L'année d'après, il envoya de nouveau Rock à la même soirée, aux bras cette fois de Piper Laurie mais avec à peine un peu de noir afin de le transformer en sauvage de Bornéo. Il était encore à moitié nu. Et c'est certainement ce qu'il y a de plus suave dans cette histoire...
Pour tout ce qui concerne Rock, nous ne pouvons que vous conseiller la fréquentation de l'extraordinaire "The Rock Hudson Project" mais nous en reparlerons.
1 commentaire:
Oh! Je viens de lire ce post et votre suave commentaire en fin :)
Je ne pouvais que suavement vous remercier...
Bonne journée!
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