En 1975, "What I did for love" est définitivement la chanson jeune et fraiche, mais possédant également un "je ne sais quoi" de classique, qui va ravir absolument tout le monde, et particulièrement une catégorie d'artistes chère à nos coeurs : les vedettes en quête de tubes, voire de résurrection. Et si nous évoquions la semaine dernière à quel point la vie devint compliquée à partir de 1964 et l'arrivée des Beatles pour la vieille garde de la chanson américaine, imaginez ce que furent les années 70.
Personne n'ignore que le plus dur dans ce terrible métier qu'est le show-business, est de durer et lorsqu'on entame sa troisième ou quatrième décennie d'activités, les options se raréfient fortement. On peut obtenir une résidence à Las Vegas, gagner beaucoup d'argent mais choisir alors une vie de reclus en plein désert, on peut également partir en tournées perpétuelles à travers le globe, gagner là encore beaucoup d'argent mais ruiner sa santé.
On peut enfin, tel un chercheur d'or arpentant le Klondike, se lancer à la recherche du morceau qui permettra un retour dans les hit-parade. C'est très hasardeux. Alors on saute sur tout ce qui est un peu dans l'air du temps.
Pardonnez d'avance l'avalanche de chiffres qui va suivre mais qui nous semble importante pour comprendre le phénomène : en 1975, ou plus exactement 1976, même si Johnny Mathis enregistre "What I did for love" dès octobre 75, Peggy Lee entame sa 35e année de carrière, Bing Crosby sa 45e et Johnny, petit jeunot, sa seulement 20e.
Et pour rester chez les jeunes qui ne le sont déjà plus depuis longtemps, Eydie Gormé aborde sereinement sa 23e année et les Lettermen, déjà vieux avant même d'avoir commencé puisque formés en hommage aux Rhythm Boys, trio vocal des années 30, leur 19e année !
Et tous s'emparent de "What I did for love", leur permettant d'ajouter, enfin, un nouveau classique à leur répertoire, ce qui ne fera pas grand chose pour leur carrière puisque personne, nous disons bien personne, ne classera le morceau dans le moindre hit-parade. Mais enfin c'est toujours un peu de modernité à ajouter à un tour de chant composé de standards de Cole Porter, Gershwin ou Berlin.
Les deux cas les plus émouvants (ou pathétiques comme ne manquerait pas de le remarquer notre chère moitié qui manque parfois cruellement d'empathie) se trouvent chez les survivants de Broadway, pour lesquels les choses furent encore plus difficiles que chez les stars du microsillon. Car lorsque que vous avez construit votre carrière sur les planches, les rôles intéressants sont encore plus rares que les bonnes chansons, surtout passée la cinquantaine.
En 1977, Ethel Merman a 70 ans. Légende absolue de la scène, elle survit, elle, à la télévision et remercie chaque jour Aaron Spelling d'avoir inventé "La Croisière s'amuse" ou "L'île fantastique". Elle a connu son dernier triomphe en acceptant enfin d'être Dolly dans "Hello Dolly" en 1970, rôle créé pour elle mais qu'elle avait refusé. Ce sera son dernier spectacle à Broadway.
Quant à Howard Keel, en ce milieu des années 70, il contemple de très loin le temps où il ornait une comédie musicale MGM sur 2 après des immenses succès à Broadway. Mais il ignore qu'en 1980, alors qu'il envisage sérieusement de prendre sa retraite, le producteur David Jacobs va lui proposer de rejoindre le casting de "Dallas". Devenu personnage à plein temps, il restera dans la série jusqu'à sa fin en 1991, une résurrection qui lui permit à 65 ans d'enregistrer son premier disque en solo. Et nous ne nous demandons même pas quel titre il choisit comme single.
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