Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, dans la quiétude des dimanches hollywoodiens et la sérénité du seul jour off du monde du cinéma, deux personnalités se livrèrent un combat sans répit et ce, pendant près de 20 ans : George Cukor et Cole Porter.
Jouissant tous deux d'une très grande notoriété, d'une aisance financière conséquente et de résidences majestueuses, ils prirent, dès les années 30, l'habitude de recevoir chez eux leurs amis le dimanche, lors de rendez-vous qui devinrent rapidement incontournables. Il était d'autant plus rageant de ne pas recevoir de carton que chacun des deux hommes offrait deux possibilités dominicales de frayer avec l'élite : le déjeuner, auquel étaient conviées les célébrités les plus suaves et le dîner, plus intime, exclusivement masculin.
Etant marié depuis 1919 avec Linda Lee Thomas, riche héritière de 7 ans son aînée, Cole Porter pouvait faire ce qu'il voulait, les apparences étant sauves, ce dont il ne se privait guère. C'était une autre histoire pour George Cukor, célibataire sans intention de jouer le jeu des studios mais pas suicidaire au point de ruiner sa carrière en faisant son coming out. Cukor vivait donc une double vie, charmant réalisateur le jour, coureur de marins la nuit. Les dimanches soirs étaient donc pour les deux hommes l'occasion de réunir leurs cercles d'intimes et la chair fraîche disponible en cette fin de semaine : apprentis comédiens, étudiants sans le sou, sportifs, militaires... gigolos donc. On se baignait chez Georges quand on dansait chez Cole. Ah la douceur californienne.
Fidèles en amitié, Cole et George possédaient leurs gardes rapprochées, aristocratie pour Porter, Hollywood pour Cukor mais ce n'est pas avec cela qu'on anime de gigantesques bacchanales aquatiques le jour du Seigneur. Et étant donné la taille malgré tout raisonnable de la communauté gay dans les années 40 à Hollywood, il était inévitable qu'un dimanche ou l'autre, un jeune homme se retrouve invité en même temps chez les deux stars. La prudence la plus élémentaire poussait alors le malheureux à inventer rapidement une excuse solide pour l'un ou l'autre, puisqu'il était mondialement connu en Californie qu'une phrase pourtant fort chic comme "J'ai déjeuné chez Cole" anéantissait vos chances d'être reçu à nouveau chez Cukor et inversement. On était l'un ou l'autre, pas les deux, et si d'aventure on le tentait, c'était dans le plus absolu des secrets.
Cole Porter et George Cukor se disputèrent parfois de beaux Apollons et souvent Cukor l'emportait. Il faut dire qu'il possédait un atout de poids : en tant que réalisateur il pouvait promettre un rôle ou une figuration quand Cole pouvait éventuellement offrir une chanson. C'est ainsi par exemple qu'Aldo Ray, ancien soldat sans formation particulière, se retrouva rapidement en tête d'affiche de "Je retourne chez maman" en 1952 alors qu'Hollywood se demandait encore qui il était. Ce n'est qu'en 1957 que les deux ennemis du dimanche travaillèrent enfin ensemble, se retrouvèrent sur la même affiche serait plus exact, puisque si Cukor dirigea bien "Les Girls" dont Porter signa la musique, les chansons avaient été écrites avant même l'écriture du scénario et les deux hommes ne se virent pour ainsi dire jamais.
Malgré leur surnom assez peu flatteur de "The two Queens of Hollywood", qui suppose persiflage et médisances, Cukor et Porter surent oublier leur rivalité lorsqu'en 1962, il devint évident que le compositeur ne se remettrait jamais de son accident de cheval et de l'amputation d'une de ses jambes. Cukor veilla sur Cole, lui rendant visite deux fois par semaine et n'oubliant jamais d'emmener avec lui une de ses illustres amies, Vivien Leigh ou Katharine Hepburn, jusqu'à la mort de Porter en 1964. Proposons donc une nouvelle appellation : "The Suave Queens of Hollywood". Plus Soyons-Suave, non ?
3 commentaires:
Dieu que la guéguerre en dentelles devait être belle en ces temps bénis...
En maillots Baron, la guerre en maillots !
Aldo Ray!!! je savais pas!!! Pas soupçonnable dans les Nus et les Morts...
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