dimanche 5 mai 2013

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Constance Bennett exigea une boîte.






















Autant vous prévenir immédiatement, la belle histoire du dimanche repose sur une chute qui perd beaucoup de sa saveur une fois traduite. Vous serez donc magnanimes, tout en sachant apprécier l'humour dévastateur de ce qui reste comme l'un des télégrammes les plus drôles, et cruels, jamais envoyé de Hollywood. 

Nous sommes aujourd'hui en 1965, un film se prépare à la Universal, film dont le casting, depuis qu'il a été annoncé dans la presse, provoque de légers spasmes de plaisir chez tous les gens suaves : Lana Turner, Constance Bennett, Ricardo Montalban, John Forsythe. Vous aurez compris qu'on tourne "Madame X"... enfin plus exactement la nouvelle nouvelle nouvelle adaptation de "Madame X". 





















Décédé en janvier 1912, le dramaturge français Alexandre Bisson ne sut jamais que son oeuvre allait être allègrement pillée par le cinéma (la première adaptation d'une de ses pièces date de 1913) et que son chef d'oeuvre, "La femme X" alias "Madame X", créée en 1908 au théâtre de la Porte-Saint-Martin par Sarah Bernhardt et transporté à Broadway avec le même succès allait par 9 fois devenir un film. 

Mélodrame parmi les mélodrames, "Madame X" dont le pouvoir lacrymal n'est guère dépassé que par "Les deux orphelines" est une sorte de Graal pour toute comédienne désireuse de montrer l'étendue de sa palette dramatique : une femme doit, parce qu'elle a fauté, se faire passer pour morte et abandonner mari et enfant. Elle mène une vie d'errance et accusée de meurtre, est défendue par son fils devenu avocat. Elle meurt sans lui avoir révélé qui elle était. 











































Grand écart Nadia Commanecien, en 1965 et après Sarah, Ruth Chatterton ou Gladys George, c'est à Lana Turner d'incarner l'ultime Mère Courage, dans une production Ross Hunter ce qui garantie glamour, fourrures et bijoux véritables à l'écran. On ne remerciera d'ailleurs jamais assez Ross pour sa contribution au cinéma et à Soyons-Suave. 

En 1965 Lana Turner est à l'apogée de sa résurrection. Souvenons-nous qu'un temps menacée par l'horrible scandale du meurtre de son amant par sa propre fille, elle s'en était sortie en se mettant à jouer à l'écran... son propre rôle, des mères dénaturée, indignes, des amantes prêtes à tous les sacrifices. Depuis "Le mirage de la vie", Lana est la reine des mélos luxueux. Et c'est dans cet esprit qu'elle s'engage dans la finalement très logique (pour elle) adaptation de la pièce de Bisson. 














Deux femmes entrent alors en scène, la première, Constance Bennett, a débuté en 1916 mais n'a rien tourné depuis 14 ans et la seconde, Sue Mengers, débute à peine dans le difficile métier d'agent. Elle ignore évidemment (enfin sans doute l'espère-t-elle) qu'elle va, en à peine 5 ans, devenir la femme la plus influente d'Hollywood. 

Sue Mengers travaille alors pour une petite agence qui semble spécialisée dans les cas impossibles ou difficiles. Ses clients sont essentiellement des anciennes stars hollywoodiennes sur le déclin ou de jeunes acteurs dont personne ne veut pour diverses raisons. De tout cela Sue se moque, elle vendrait ses parents pour un contrat et approche réalisateurs et producteurs avec la délicatesse d'une division de panzers. 























Malgré ses manières de déménageur, Sue Mengers est appréciée car elle est outrageusement drôle et n'a peur de rien. Capable de soutenir à Otto Preminger qui refuse d'engager un de ses talents parce qu'il est gay qu'elle a couché avec lui la veille au soir ou de harceler David Merrick pour que Ginger Rogers prennent la suite de Carol Channing dans "Hello Dolly", lui jurant que Ginger fait tout ce qu'elle veut car elle est amoureuse d'elle alors qu'elle ne la connait même pas, Sue Mengers veut à présent relancer la carrière de Constance Bennett. 

Il y a dans "Madame X" un rôle qui serait parfait pour elle, celui d'Estelle, la belle-mère diabolique de la future madame sans nom. Sue entame donc une campagne auprès de Ross Hunter dont elle connait la fascination pour les gloires déchues. Il accepte, conscient de la publicité qu'il va pouvoir faire autour du comeback de Constance. L'affaire est signée, pour une somme très confortable. Ross ignore qu'il vient de signer pour l'enfer. 




















Un temps considérée comme la plus belle femme du monde et un temps surtout l'actrice la mieux payée d'Hollywood, Constance Bennett a visiblement décidé de ne pas envisager qu'elle n'est plus en 1932 et va se comporter sur le plateau comme la star qu'elle n'est plus depuis 30 ans. 

Âgée de 60 ans, elle exige de sembler à l'écran aussi jeune que Lana qui en a tout juste 40. Lana porte des perles, elle demande des diamants. Lana se console en portant du vison et en demandant que Constance endosse du chinchilla. 



















Le pic semble être atteint lors du tournage des dernières scènes du film où les personnages sont de 20 ans plus âgés qu'au début. Lana est supposée être usée par la vie, l'alcool et le chagrin et elle a compris qu'un rôle sans maquillage est toujours payant pour les Oscars. Elle apparaît donc ravagée. Constance, elle, se moque des Oscars et refusera toutes les perruques aux cheveux blancs. On transigera pour un blond très pâle, mais avec un triple rang de perles. 

Il ne reste plus à Constance, après avoir usé la patience de son producteur, de ses partenaires et du réalisateur David Lowell Rich, qu'à tester celle de son agent : son nom doit être au-dessus de celui de Lana sur l'affiche ! La chose est évidemment impossible, comme Sue Mengers le lui explique longuement... Son nom doit donc être encadré, dans une "box" (selon le terme en anglais) en bas de l'affiche ! 

































Observez attentivement n'importe quelle affiche de "Madame X" : le nom de Constance Bennett n'est pas dans une "box". La bataille que vont se livrer Constance d'un côté et Sue Mengers et Ross Hunter de l'autre va être terrible. Pendant des semaines, Constance menace de faire un procès, de refuser la promotion du film, de déclarer que "Madame X" est un terrible navet qu'elle regrette d'avoir tourné. Elle refuse surtout de payer à Sue Mengers sa commission, arguant qu'on ne l'a jamais aussi mal traitée. Elle ne la payera jamais. 

Quelques mois avant la sortie du film, Constance Bennett va mourir subitement d'une hémorragie cérébrale.  Elle a 60 ans, semblait en pleine forme et surtout vivait alors un véritable rêve, elle était de nouveau dans la presse. Le jour de sa mise en bière, Sue Mengers va envoyer à Ross Hunter le télégramme suivant : "Tout finit bien, Constance a enfin eu sa box". 



















Morte en 2011 mais oubliée depuis la fin des années 90, Sue Mengers connait elle-aussi un comeback en ce moment à New-York grâce à Bette Midler qui l'incarne dans une pièce de théâtre. Pendant 1h30, Bette, ne quittant jamais son canapé, fait revivre celle qui ne quittait, elle, jamais sa djellaba, rarement ses lunettes fumées octogonales et sa cigarette. Et son canapé. 

Et qui était capable de hurler à un terroriste menaçant de faire sauter l'avion dans lequel elle se trouvait et voulait que Charlton Heston lise un communiqué à la presse : "Charlton Heston ? Attends chéri, moi je peux t'avoir Barbra Streisand, ça, c'est une star". Suave Sue...


5 commentaires:

Jérôme (moins anonyme) a dit…

Vos suaves histoires sont comme vos conseils déco: impayables!

Anonyme a dit…

j'adore les mensonges de Sue Mengers, impayable comme dit Jérôme !!

Anonyme a dit…

magnifique!!!! ...bon, la prochaine fois, faudra nous expliquer pourquoi se copine Streisand l'a virée du jour au lendemain comme une pestiférée!

Anonyme a dit…

Ho oui ! Ho oui, je veux savoir moi aussi !!!
Pruneauxyz.

soyons-suave a dit…

Pestiférée est peu être un peu fort mais du jour au lendemain cela est certain. Voilà : nous avons la belle histoire de dimanche prochain.