Les très suaves Heures de l'histoire contemporaine : le jour où Motown dit oui à la flamboyance.
En 1974, le label Motown, qui offrit aux années 60 une bonne partie de sa bande son, traverse ce qu'on appelle, et pas uniquement dans le milieu de la prostitution, une drôle de passe. Musicalement et financièrement les choses ne vont pas si mal. Evidemment, les artistes maisons n'enchaînent plus les numéros 1 comme les Supremes entre 1964 et 1967 mais enfin on ne va pas se plaindre : en 1973, Stevie Wonder avec "Superstition", Marvin Gaye avec "Let's get it on" et Diana Ross avec "Touche-moi le matin" (qui est toujours plus sympathique en français) ont grimpé jusqu'au sommet des charts. Michael Jackson est devenue une valeur sûre et les Commodores, les Temptations ou les Miracles sont toujours prêts à dégainer un tube.
Et pourtant, depuis que Berry Gordy a décidé en 1972 de déménager ses locaux de Detroit à Los Angeles, principalement pour se lancer dans la production cinématographique et même encore plus spécifiquement pour produire des films mettant en vedette Diana Ross, quelque chose a changé. Ce n'est d'ailleurs plus Berry qui s'occupe de la direction musicale de Motown, cette charge ayant été confiée à Ewart Abner qui restera, tout de même et à jamais, l'homme qui eut l'instinct de signer aux USA un petit groupe anglais nommé The Beatles.
Motown est finalement dans un entre-deux : en apparence le même label qu'en 1961 mais en fait plus vraiment, mais sans que le changement soit spectaculaire. Est-ce que Motown piétinerait, quant la firme a été l'une des plus novatrices de la décennie précédente ? Une chose est certaine : il faut du sang neuf et une ligne directrice qui soit claire.
On ne saura jamais si ce qui se produisit en 1973 fut la conséquence d'une volonté affirmée mais en signant un nouveau groupe appelé "The Dynamic Superiors", Motown allait faire quelque chose de relativement révolutionnaire. Qui ne tenait pas au fait que le label allait prendre sous son aile un quintet noir originaire des faubourgs de Washington. Il possédait déjà des dizaines de quintet originaires d'à peu près toutes les banlieues américaines. Mais plutôt dans la personnalité de son leader, Tony Washington : jeune, noir, gay, et fier de l'être !
Car quand on y réfléchit, il est franchement sidérant que Motown, qui bâtit sa suprématie en caressant le public dans le sens du poil : des chanteuses noires parfaitement lissées, des groupes de danse noirs mais en costume cravate, ne vit rien à redire en découvrant sur scène, lors d'une convention musicale, des Dynamic Superiors, menés par Tony, tout en fond de teint et faux-cils, susurrant des chansons d'amour de sa voix de tête stratosphérique adressées à des "il" et non des "elle" et se dise sous le coup d'une évidence : voilà ce qu'il nous faut !
Les multiples interviews du groupe qu'on peut trouver sur Internet le confirme : visiblement, l'homosexualité flamboyante de Tony ne fut jamais un sujet de conversation, comme elle ne l'était pas non plus au sein des Dynamic dont tous les autres membres étaient résolument hétérosexuels. On envoya donc le groupe en studio, en le confiant à une équipe de choc : Valerie Simpson et Nicholas Ashford qui produisirent et composèrent tous les titres du futur premier album. Auquel on donna un visuel pour le moins étonnant, dessiné par le formidable illustrateur Dick Ellescas. Nous sommes en janvier 1975 et tout naturellement, cela donne ceci :
Oui, Tony Washington est maquillé comme une voiture volée sur la pochette du premier album des Dynamics Superiors, oui, il l'est aussi devant les caméras de Soul Train et oui enfin, il semble dire à chaque seconde de ce "Shoe Shoe Shine" somptueux qui va se hisser dans le top 10 dès sa sortie : "Je suis folle et alors ?". Et tout cela est très naturel, alors que bien entendu cela ne l'est pas.
Parce que nous ne sommes qu'en 1975, que la culture drag n'existe que dans les ballrooms de Harlem et que la société américaine ne fait que prendre conscience de l'existence d'une communauté gay et blanche. Alors noire, n'en parlons pas.
Motown apparaît donc, ce que personne n'avait vu venir, comme une oasis de tolérance insoupçonnée, au coeur de laquelle Tony Washington et les Dynamics Superiors font les premières parties des Jackson Five ou de Stevie Wonder et reprennent non pas "Me and Mrs Jones" de Billy Paul mais "Me and Mister Jones", devant des foules un peu étonnées mais finalement conquises.
Entre 1975 et 1977, les Dynamics Superiors vont graver 4 albums pour Motown et c'est pour l'anecdote encore Tony qui brille sur la pochette de "Pure Pleasure" en proposant en gros plan sa pilosité et ses ongles parfaitement manucurés. De ces 4 albums, que nous vous engageons vraiment à découvrir, ne vont pourtant pas sortir beaucoup de tubes (cela se saurait) mais suffisamment de titres de qualité pour permettre aux Dynamics de poursuivre leur carrière jusqu'à leur séparation en 1980.
Jouissant de la très enviée réputation de secret le mieux gardé de la musique soul et bénéficiant d'un véritable culte, on envisagea une reformation au début des années 2000 mais l'annonce du décès de Tony Washington refroidit l'enthousiasme. Des Dynamics Superiors tournent pourtant toujours aujourd'hui mais nous ignorons absolument si ne serait-ce qu'un des membres originaux en fait partie.
Le succès du premier album des Dynamic poussa en tout cas Motown à ouvrir momentanément son horizon et il est stupéfiant de réaliser que c'est à la suite de cet album que le label proposa au monde, et en 1975, ses deux plus gros titres gays : le futur hymne "I was born this way", enregistré sur un sous label de Motown par Valentino puis en 1977 par Carl Bean, sur disque Motown cette fois, et le charmant "Ain't nobody straight in LA", hymne à la tolérance des Miracles, sur leur album "City of angels".
Contrairement à ce à quoi nous vous avons habitués, cette page de l'histoire contemporaine ne propose ni chute rigolote, ni rebondissement de dernière seconde. Passé cet épisode un peu folle, Motown ne deviendra jamais le label des fiertés et retournera à des productions grand public, laissant à d'autres compagnies le soin de poursuivre l'expérimentation. Ce sera par exemple le cas de Fantasy Records qui placera en orbite un autre jeune homme noir très maquillé en 1977 du nom de Sylvester.
Mais la meilleure fin, et au risque de nous répéter, est peut-être de partir à la conquête des Dynamic Superior que nous écoutons en boucle depuis un mois et qui n'en finissent pas de nous enchanter. Mais ce qui finalement n'est pas très surprenant. N'était-il pas dynamiques ? Et infiniment supérieurs ? Tout était déjà dans le nom en fin de compte...
Alors voilà, on oublie de publier la belle histoire du weekend la semaine dernière mais personne pour le remarquer... Franchement, si on ne peut plus compter sur vous, suaves visiteurs (si ce n'est pour quelques vagues confusions de calendrier...)
3 commentaires:
Alors voilà, on oublie de publier la belle histoire du weekend la semaine dernière mais personne pour le remarquer... Franchement, si on ne peut plus compter sur vous, suaves visiteurs (si ce n'est pour quelques vagues confusions de calendrier...)
:)
Du chipotage pour des histoires de date ? Franchement, les gens n'ont plus de respect...
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