mardi 26 juillet 2022

Et maintenant chantons !




L'histoire de la chanson "Bei mir bist du schon" mériterait aisément qu'on lui consacre un livre, mais peut-être lui a-t-on déjà consacré un ouvrage, tant elle est rocambolesque, enthousiasmante, mais également mystérieuse. Une chose en tout cas est certaine : elle fut composée en 1932 par Sholom Secunda pour la musique et Jacob Jacobs pour les paroles, pour une opérette yiddish appelée "I would if I could" qui se joua une saison à Brooklyn et qui en fit un air relativement populaire dans la communauté juive. 

D'ailleurs la chanson porte à l'origine le titre de "Bay mir bistu sheyn", et ne fut pas enregistrée puisqu'elle n'était qu'un des nombreux morceaux écrits pour la dite opérette, parmi des dizaines d'autres opérettes animant le circuit des théâtres yiddish de New-York. (A ce titre, la vidéo qui ouvre ce billet est la recréation de la chanson originale effectuée en 2001 à Prague). Ses compositeurs, par ailleurs très prolifiques, n'eurent que bien plus tard la confirmation qu'ils avaient donné naissance au plus gros succès sorti des théâtres juifs. Au départ ce n'était qu'une chanson parmi d'autres, dont ils cédèrent les droits à un éditeur pour 30 dollars, à se partager, ce qui est encore plus savoureux. 

Anticipons immédiatement ce qui serait la fin parfaite d'une belle histoire du weekend : au début des années 60, Secunda et Jacobs récupérèrent enfin les droits de leur composition, devenue entre temps un tube planétaire. Ils en sont propriétaires, enfin leurs héritiers, jusqu'en 2030. Donc finalement, les choses se terminèrent presque bien. Disons qu'au lieu d'empêcher des millions, ils reçurent et reçoivent encore chaque année, des centaines de milliers de dollars. 


Et maintenant accrochons-nous à notre fauteuil. Ce qu'il s'est réellement produit entre la vente des droits de "Bay mir bistu sheyn" par Secundo et Jacobs et l'enregistrement par les Andrews Sisters de "Bei mir bist du schön" ou "Bei mir bist du schoen" en novembre 1937 est loin d'être clair et il existe au moins trois versions de l'histoire, quand, par ailleurs, il existe deux versions des conditions qui amenèrent Secundo et Jacobs à écrire leur futur succès et que se disputent les deux familles. 

Faisons simple et synthétisons : persuadés que la mélodie avait un fort potentiel mais qu'il fallait des paroles en anglais, les frères Kammen, désormais propriétaires des droits de la chanson, la confièrent au parolier Sammy Cahn (des centaines de tubes et 4 oscars) et à son partenaire Saul Chaplin qui la rendirent moins "folklorique" et surtout plus swing. Ils ne conservèrent que le titre, enfin dans l'esprit, ce qui était plutôt culotté puisque nombreux furent les américains qui, après l'avoir entendu à la radio, se précipitèrent dans le premier magasin de disques afin d'acheter "My beer, mister Shane". 

En tout cas, enregistré par les Andrews Sisters qui n'étaient alors personne en novembre 1937, dès le mois de décembre 37, la chanson était la deuxième la plus vendue aux USA et la 3e la plus jouée. Et en janvier 1938, elle devenait le titre qui se vend plus vite "qu'un cachet d'aspirine dans une convention de la Légion Etrangère" comme l'écrivait finement la presse. Elle avait été enregistrée par Ella, Benny Goodman, Guy Lombardo. Quant aux soeurs Andrews, en 6 semaines, leur cachet était passé de 200 dollars la prestation à 650, une somme énorme. 


Mais la version yiddish dans tout ça ? Forcément, face au phénomène "Bei mir bist du schoen", elle devint légèrement secondaire, sauf dans le répertoire des "Yiddish queens", alias les Barry Sisters, qui la revisitèrent régulièrement au cours de leur longue carrière. 

Et, anecdote irrésistible : les Barry Sisters débutèrent leur ascension vers la gloire grâce à une émission de radio, "Yiddish melodies in swing", propulsée sur les ondes grâce au succès de l'enregistrement des Andrews sisters.  Car il y eut une vague swing yiddish à New York au début des années 40. On l'oublie. C'est regrettable. La vie parfois...




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