dimanche 29 janvier 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Vera Miles déçut son mentor et loupa le rôle de sa vie.


En 1958, Vera Miles, née Vera Ralston, a toutes les raisons d'être heureuse. Divorcée de son premier époux et père de ses deux enfants, elle est de nouveau amoureuse. Et sa carrière, commencée en 1951 par des apparitions le plus souvent non créditées au générique, est, enfin, en train de mener quelque part.

Et pour quelqu'un qui a débuté dans les concours de beauté en étant successivement Miss Chambre de Commerce, Miss Pamplemousse et Miss Margarine, c'est une belle revanche que de tourner à présent avec d'illustres réalisateurs comme John Ford ou Alfred Hitchcock.



La rencontre avec ce dernier a eu lieu sur le plateau du premier épisode du "Alfred Hitchcock presents", série télévisée qui va rendre incontournable sir Alfred, sans doute premier réalisateur dont le visage et la silhouette sont désormais connues de tous. Hitchcock, depuis 1955, est en panne de blondes. Par une ironie du destin, il vient de perdre Grace Kelly de la même façon qu'Ingrid Bergman lui avait échappé : elle a préféré l'amour au cinéma et sa collaboration imposée par le studio avec Doris Day sur "L'homme qui en savait trop" lui a confirmé qu'il devait trouver une nouvelle protégée.

Vera Miles, bien que beaucoup moins glamour, ne manque pas de qualités. Impressionné par son jeu, Hitchcock décide de la prendre sous contrat exclusif. Pendant 5 ans elle va désormais lui appartenir, ce qui excite la presse qui voit en elle la nouvelle Grace Kelly.


L'intronisation de Vera Miles comme nouvelle égérie hitchcockienne a lieu en 1956 dans "Le faux coupable", film pour lequel elle sera couverte d'éloges mais qui met surtout l'accent sur sa palette dramatique et non sa possible sexualité ambiguë, marque de fabrique des blondes du maître, incarnations du feu sous la glace ou du volcan sous la banquise.



"Le faux coupable" est en fait un galop d'essai. Vera Miles, qui a déjà séduit Hitchcock sur le petit écran vient de lui confirmer qu'elle est prête pour un rôle d'envergure, ce sur quoi il travaille depuis un an.

Paru en 1954, le roman "D'entre les morts" des duettistes de la plume Boileau et Narcejac a immédiatement intéressé le réalisateur qui en a acheté les droits et fait réalisé l'adaptation par Samuel Taylor, auteur du scénario de "Sabrina" de Billy Wilder et Alec Coppel, futur auteur de "The Gazebo" qui deviendra "Jo" avec Louis de Funes en 1971.


"From among the dead", qui ne deviendra "Sueurs froides" que 6 mois avant sa sortie, est un projet ambitieux, érotiquement chargé et au rôle féminin principal complexe puisque l'actrice doit incarner non pas un mais deux rôles, à priori aux antipodes. Le personnage de Madeleine doit, de plus, posséder une beauté mystérieuse, à la fois irrésistible et insaisissable, ce que n'est pas tout à fait Vera Miles.

Pendant de longs mois, Hitchcock va donc travailler avec elle, l'essentiel de leurs séances consistant à changer l'image de l'actrice, ce qui va se faire avec l'aide de la costumière Edith Head. Vera Miles change de garde-robe, de couleur de cheveux, de style, ce qui n'est pas forcément pour lui plaire. Mais elle a conscience que "Sueurs froides" est sans doute le rôle de sa vie, c'est en tout cas ce que ne cesse de lui répéter Hitchcock, aussi elle s'exécute sans dire un mot.


Métamorphosée, Vera Miles entame, malgré tout sourire aux lèvres, la préparation de "Sueurs froides" par les traditionnelles séances photos et essayages au cours desquelles il n'échappe à personne que Hitchcock a véritablement trouvé une nouvelle Grace Kelly.



L'actrice va également passer de longues heures à poser pour ce qui est un des éléments clefs du film, le portrait que son personnage vient contempler dans le musée de San Francisco et qui laisse supposer qu'elle est, peut-être, la réincarnation d'une femme décédée depuis longtemps.

L'histoire raconte que le peintre préposé aux pinceaux tomba littéralement amoureux de Vera Miles lors de leurs séances et se montra difficile à convaincre lorsqu'il dut recommencer son oeuvre avec un autre visage mais n'anticipons pas.


C'est alors qu'intervient le sculptural monsieur en pagne ci-dessus, qui n'a rien à voir avec "Sueurs froides" mais avec Vera Miles puisqu'il l'a épousé en 1954. Gordon Scott, ancien maître-nageur, a repris le rôle de Tarzan après Lex Barker et depuis 1955, passe son temps à demi nu, avec un certain succès. Il est généralement considéré comme le meilleur seigneur de la jungle après Johnny Weissmüller.

C'est d'ailleurs sur le plateau de "Tarzan's Hidden jungle" qu'il a rencontré Vera, coup de foudre qui amena à un mariage dans les mois qui suivirent. Comment intervient-il dans l'histoire de "Sueurs froides" ? De façon assez simple : au cours de la préparation du film, Vera Miles découvre qu'elle est enceinte. Lorsqu'elle l'annonce à Hitchcock, celui-ci est effondré. Il ne voit pas comment elle peut décemment faire partie du tournage. Comme il le précisera plus tard à François Truffaut : "Cette grossesse me fit instantanément perdre tout l'intérêt que j'avais pour elle".



Les chemins qui menèrent au remplacement de Vera Miles par Kim Novak ont été abondamment commentés, par Hitchcock lui-même et par ses spécialistes. Kim Novak n'en fit pas de mystère non plus : elle fut imposée par Harry Cohn, patron de la Columbia qui tenait Hitchcock puisqu'il avait également Henry Fonda sous contrat.

Ce qui n'est pas totalement clair est du domaine du timing : visiblement, des tractations concernant Kim Novak, commencèrent, entre la Paramount, productrice du film et Harry Cohn, alors que Vera Miles était encore là. Personne, mis à part Hitchcock, ne croyait en ses possibles qualités de star et alors que le tournage n'avait pas encore débuté, on songeait déjà à la remplacer. L'annonce de sa grossesse, si elle dévasta Hitchcock, arrangea donc tout le monde.


"Sueurs froides" est sans conteste l'un des films les plus marquants de la filmographie d'Hitchcock et peut-être LE film de celle de Kim Novak. Que leur collaboration fut tendue n'enlève rien au résultat, dont on ne peut que se demander ce qu'il aurait été si Vera Miles ne s'était montrée si fertile.

La rancoeur de Hitchcock sera de courte durée puisqu'il fera de nouveau appel à elle pour "Psychose", alors que le contrat les liant venait pourtant d'expirer. Mais en lui confiant le rôle de la soeur de Janet Leigh, le réalisateur faisait d'elle un personnage secondaire, qui fut de toutes les façons totalement éclipsé par une scène de douche et la prestation d'Anthony Perkins. C'est pourtant Vera qui descend à la fin à la cave. Ce ne fut pas suffisant.



Malgré le loupé de "Sueurs froides", Vera Miles continuera d'être très active, au cinéma et surtout à la télévision mais sans jamais pouvoir prétendre au statut de star qu'elle frôla le temps de quelques essayages. En 1995, elle décida qu'il était temps de songer à la retraite et est depuis absolument invisible. Elle est toujours vivante, signe volontiers les photos qu'on lui envoie par la poste mais n'est jamais plus apparue en public.

En 1983, elle retrouva indirectement son ancien mentor, sir Alfred, en participant à "Psychose II" dans lequel elle reprit son rôle, celui de la soeur de Janet Leigh qui, 22 ans après les faits, refuse toujours de laisser Norman Bates tranquille. C'est ce qu'on appelle de la pugnacité et c'est peut-être ce qu'il faut retenir de Vera Miles. Ne jamais baisser les bras. Faire preuve de volonté. Et de dignité. Ce sont les mots exacts de Gene Kelly évoquant sa carrière dans "Chantons sous la pluie" et c'est depuis longtemps ce qui guide nos pas.

Cela ne nous avait pas marqué mais après réflexion, Vera Miles est bien une femme "Soyons-Suave".


4 commentaires:

Jérôme (moins anonyme) a dit…

Ah, j'ai adoré ce billet!

Anonyme a dit…

Ditto.
Merci.
Bruno

soyons-suave a dit…

Merci messieurs et merci encore pour vos si suaves et réguliers messages :)

Anonyme a dit…

ditto !