En 1966, Barbra Streisand a 23 ans et elle est devenue en à peine deux ans la personnalité la plus excitante des Etats-Unis. Alors qu'elle n'a à son actif que des apparitions à la télévision et un triomphe à Broadway, "Funny Girl", elle touche 50 000 $ à chaque fois qu'elle se produit sur scène et elle a signé avec CBS un invraisemblable contrat portant sur 10 shows tv, un par an pendant 10 ans pour la modique somme de 5 millions de dollars.
Le succès de Streisand est sans précédent et est, pour le moment, essentiellement discographique. "Funny girl", le film, ne sera tourné qu'en 1968, la propulsant dans une autre galaxie. Pour le moment, elle chante, et entre 1963 et 1966, elle enregistre 7 albums, tous vendus à plus d'un million d'exemplaires. Il est rare de trouver un foyer US qui ne possède pas un de ses disques, tout comme il est difficile de ne pas tomber sur un magazine la proposant à la une. Pour résumer, en 1966, Barbra est partout et ce n'est qu'un début.
Il n'est donc pas surprenant que pour son édition de mars 66, "Life magazine", dont elle a déjà fait la une, ne décide de remettre Barbra en lumière. Son départ imminent pour Londres où elle va jouer "Funny Girl" a toutes les caractéristiques d'un début de conquête mondiale et comme la production de son premier show tv l'a autorisée à aller choisir ses tenues lors des défilés haute-couture parisiens, "Life" pense, à raison, qu'il y a là matière à article de fond.
Le photographe auquel va revenir la tâche de suivre Streisand pendant plus d'un mois n'est pas plus un inconnu des lecteurs du magazine que de Barbra elle-même. A moins de 30 ans et en passe de devenir une des stars de "Life", Bill Eppridge a couvert depuis son arrivée au journal les émeutes au Panama et la guerre du Vietnam. C'est un photographe de guerre accompli, surnommé "one shot Bill", capable donc de réaliser un bon cliché en une seule prise et qui a déjà eu droit à la une.
Un photographe de "Life" se devant d'être polyvalent, Bill Eppridge, entre deux conflits mondiaux, a été assigné à des missions moins dangereuses et connait Streisand depuis ses débuts en 1963.
Il est d'ailleurs l'un des rares à l'avoir photographiée alors que sa carrière balbutiait : ses premières apparitions dans la lumière, ses premières photos chez elle, c'est lui qui les a réalisés.
En févier 63, il suit donc Streisand à Paris et il est loin d'être le seul à le faire puisque Vogue a décidé également de couvrir les premiers pas de Barbra au pays de la mode, ainsi qu'une dizaine d'autres publications... C'est une véritable caravane qui débarque ainsi dans la capitale, une foule qui agace Streisand qui se montre, non seulement peu désireuse de coopérer, mais à chaque rendez-vous plus en retard qu'au précédent, jusqu'à littéralement disparaître pendant une semaine. On découvrira plus tard qu'elle était à Marseille avec son mari Elliott Gould.
De ce capharnaüm, Bill Eppridge rapportera néanmoins d'incroyables photos, dont le célébrissime premier rang du défilé Chanel, évoqué récemment ici-même à propos de Jacqueline Delubac assise à la gauche de Streisand, laquelle expliquera son expression figée en 2001 en évoquant une bouillabaisse marseillaise mal digérée et qu'elle craignait de rendre à chaque instant sur les tailleurs en tweed.
C'est éminemment subjectif mais nous lui préférons presque ce cliché pris chez Maxim's sur lequel Barbra enturbannée discute avec Marc Bohan de chez Dior, chez qui, d'ailleurs, elle achètera l'essentiel de sa nouvelle garde-robe. Les vendeuses décriront en ces mots sa séance shopping : "elle choisissait les robes comme on choisit les ingrédients d'un sandwich".
En attendant, Bill Eppridge n'a toujours pas sa couverture et il organise donc une séance à cette fin. Il a, pour cela, loué un studio et fait réalisé un agrandissement d'un des portraits qu'il a déjà de Streisand et devant lequel il compte la faire poser. A l'instant même où Barbra pénètre dans le studio, avec une heure de retard, il comprend que cela ne va pas être facile : Barbra n'a pas envie de poser, elle trouve le portrait horrible et l'idée de la mise en abyme idiote. Et elle passe l'essentiel de son temps à s'occuper de son caniche Sadie, que la troupe de "Funny Girl" lui a offert pour son 23ème anniversaire.
Ce n'est qu'après plusieurs rouleaux inutilisables que Eppridge craque. Ne supportant plus de la voir devant lui, raide, sans expression, il saisit le caniche et le lui lance dans les bras en criant : "Prenez-le, à cet instant précis, c'est la seule personne qui ne vous déteste pas dans ce studio". Surprise, Barbra accueillit l'animal et produisit son premier et unique sourire de la séance. "One shot Bill" immortalisa. Il avait sa photo.
Le numéro de "Life" de mars 66 avec une Barbra radieuse serrant Sadie est aujourd'hui fort recherché et notre exemplaire est, comme il se doit, en sécurité dans un coffre en Suisse. Les relations du magazine et de la star n'en resteront bien sûr pas là : au cours des années qui suivirent, Streisand reviendra à la une, la dernière fois en 1986 et en très bonne compagnie.
Bill Eppridge poursuivit son ascension au sein de "Life", délaissant la photographie de guerre pour la politique. De 1967 à 1968, il suivra la campagne de Robert Kennedy et fixera l'image terrible de son assassinat, le 5 juin à l'hôtel Ambassador de Los Angeles.
On lui doit un unique reportage sur Woodstock qu'il fut l'un des rares photographes à couvrir mais également des dizaines de clichés que nous connaissons sans savoir qu'ils sont de lui. Quittant "Life" dans les années 70, il travaillera pour "Sport Illustrated", faisant entrer par la même occasion la moto ou le skateboard dans l'histoire.
L'année dernière pour son livre de décoration, elle posait avec Sammie, remplaçante de Sadie II qui elle-même avait pris la suite de Sadie, disparue en 1973. A chaque fois elle sourit. Vous savez donc maintenant comment détendre un individu crispé : c'est assez simple et surtout fort suave, lancez-lui un caniche !
4 commentaires:
Je ne sais jamais ce que je dois applaudir: vos connaissances, si riches, ou votre talent à rendre palpitant des anecdotes sans intérêt... ;-)
ps: heureusement que son bouquin s'appelle "my passion" et non "my taste for design".
Vous savez Jérôme, c'est difficile et beaucoup de travail d'être suavement superficiel :)
Mais il n'est pas impossible qu'un jour nous nous intéressions aux rivalités ethniques du Lesotho.
@ So-Su: Je croyais que c'était déjà fait!
Ne changer rien surtout, vous êtes (presque) parfait!
Personnellement j'adore ces anecdotes, que je n'ai lues nulle part ailleurs. Et merci pour ces bulles qui laissent de côté l'actualité sinistre de ce triste monde actuel. Merci So-Su.
Bruno
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