Le cinéma, art industriel, ne se fait pas tout seul, loin s'en faut. Et si vous êtes déjà resté, dans une salle obscure, jusqu'au bout du générique de fin d'un film, vous n'avez pas manqué d'être stupéfait par les corps de métier innombrables, nécessaires à la production d'1h30 de divertissement. Réalisateur, scénariste, producteur : cela s'impose. Costumière, éclairagiste, preneur de son : c'est évident. Mais quid du groupiste ou de l'ensemblier, du ventouseur et de l'étalonneur ? Heureusement, Soyons-Suave est là pour vous éclairer et vous faire découvrir la face cachée du cinéma.
Et pour cette première fiche technique, un métier étonnant : cheveux de Sara Montiel !
Nous n'étions jusqu'à peu guère familier du travail de la diva du cinéma espagnol, aujourd'hui âgée de 82 ans, jusqu'à que le hasard nous fasse découvrir certains de ses chefs-d'oeuvre et parmi eux, "Aventure à Beyrouth", réalisé en 1965 par Ladislao Vajda. Sara y est somptueuse, chante d'une voix pure des refrains immortels et met au grand jour un métier inconnu : être cheveu d'une grande actrice.
Le travail du cheveu commence dès la première apparition de l'actrice qui incarne Isabelle, chanteuse de cabaret au lourd passé, qui porte sur la vie un regard sans espoir : la coupe est donc floue, la frange hésitante et le bandeau discret.
Mais quand Isabelle monte sur scène, le cheveu s'allonge : il vient caresser les épaules de la belle, se relève pour découvrir son front et magnifier son visage. C'est bien simple, c'est une apparition.
Isabelle est embauchée par un mystérieux imprésario qui lui promet une tournée internationale commençant par Beyrouth. Sur le bateau qui l'emporte, Isabelle est songeuse et le cheveu suit : il ondule, hésitant au vent. Serait-ce la chance de sa vie ?
D'autant que la traversée est riche en surprise. Un jeune homme la remarque et c'est l'amour. Isabelle est conquise. Le cheveu passe donc en mode séduction et prend facilement 20cm : c'est le chignon relevé avec mèches folles. Tout est permis.
Mais dès l'arrivée à Beyrouth,les choses se gâtent. En guise de chanteuse, on l'a plutôt embauchée pour divertir un émir local. Isabelle tente de faire bonne impression en composant un hommage capillaire aux derricks, jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'on attend plus d'elle. Elle dit non.
Elle pense même que c'est une bonne idée d'aller au commissariat local dénoncer ce qui pourrait être un réseau international de traite des blanches. Pour renforcer sa crédibilité, le cheveu a perdu ses nouveaux cm et a opté pour une coupe "casque" assez militaire.
Bien évidemment on ne la croit pas et son imprésario-proxénète la rattrape. Sans passeport, incapable de quitter Beyrouth, Isabelle est contrainte de se vendre. Le cheveu cette fois n'a pas eu beaucoup de temps pour s'adapter : même coupe qu'au commissariat mais avec accroche-coeur sur la joue. Le message est clair : je suis une fille de joie.
Isabelle est tombée sur un client compréhensif qui la sort de cette situation compromettante et l’emmène même à Paris où il sent qu'une carrière lui est ouverte. Il lui décroche aussitôt une audition à la télévision. Le cheveu, désormais parisien, choisit pour l'occasion de rendre hommage à la coupole des Invalides.
Mais quel heureux hasard ! Le fils de son sauveur et désormais pygmalion n'est autre que son soupirant, rencontré sur le bateau en partance pour Beyrouth. L'amour reprend de plus belle, c'est la tournée des grands ducs et le cheveu, conscient qu'il va visiter tous les théâtres de la capitale, se transforme en rideau de scène.
Mais on n'échappe pas à son passé. L'ancien proxénète d'Isabelle la retrouve et la fait chanter. Elle doit quitter son fiancé sans quoi c'est la mort. Pour cette séparation sombre et moite, le cheveu choisit un modèle audacieux : le champignon de Paris, qui pousse, il est vrai, dans des grottes elles-aussi moites et sombres.
Isabelle chante désormais avec l'énergie du désespoir. Elle pense que sa vie est finie et que Beyrouth l'attend à nouveau. Puisque tout doit bientôt s'achever, elle se souvient de ses racines et qu'elle est espagnole. Le cheveux aussi. Il reprend 30cm et tombe en cascade surmontée d'une fleur, souvenir des jours heureux désormais révolus ?
Le proxénète est allé trop loin. C'est Isabelle qu'il voulait, pour lui. Il est donc abattu par ses complices, tuant au passage le sauveur de la chanteuse. Le père de l'homme qu'elle aime est mort, leur amour, comme celui de Chimène et Don Rodrigue est désormais impossible. Isabelle s'en va donc, face à son destin. Et pour son dernier plan le cheveux fait profil bas, épousant délicatement la courbe de l'arche centrale de l'Arc de Triomphe.
Comme on vient de s'en rendre compte, être Cheveu de Sara Montiel est un métier difficile, qui nécessite précision et rapidité d'exécution. Mais c'est un métier passionnant, tout comme celui que nous découvrirons lors de notre prochaine fiche technique : ongle de Barbra Streisand.
1 commentaire:
Epoustouflante, cette histoire de cheveux ! Je dirais même é b o u r i f f a n t e !!!
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