dimanche 5 février 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Roman Polanski renvoya Joan Crawford.


Il y a quelques semaines, lors d'un entretien avec l'échotier Michael Musso du "Village Voice", une actrice présente sur le tournage de "Rosemary's baby" a confié, ce que tout le monde ignorait, qu'il était originellement prévu que Joan Crawford apparaisse dans son propre rôle dans le film et que pour d'obscures raisons, le réalisateur ait décidé de couper la scène.

Dire que ce bruit a mis en branle les fans de Joan est un euphémisme et il semblerait que les milieux satanistes en aient été tout autant troublés. Joan dans "Rosemary" ? Joan coupée ? Sachons immédiatement reconnaître une belle histoire du dimanche lorsque nous en croisons une.


Tourné en 1968 d'après le roman d'Ira Levin publié l'année précédente, "Rosemary's baby" va non seulement marquer le début de la carrière américaine de Roman Polanski mais aussi lancer celle de Mia Farrow, qui avant cela ne s'était illustrée qu'à la télévision et en épousant Frank Sinatra à la surprise générale. Le mot est célèbre : apprenant la nouvelle, Ava Gardner aurait déclaré qu'elle savait qu'un jour où l'autre, Frank finirait avec un garçon.

La genèse du film est depuis bien longtemps devenue mythique : embauché par la Paramount après les succès de "Répulsion" et du "Bal des vampires", Roman Polanski ne va finalement pas réaliser le film pour lequel on l'a fait venir à Hollywood mais "Rosemary" qu'il a découvert, lu en une nuit et dont il écrit très rapidement seul le scénario. Le choix de Mia Farrow va s'avérer judicieux puisqu'avant même le tournage, le public se passionne pour ce projet, en partie en raison des déclarations tonitruantes de Frank Sinatra, qui proclame qu'il désapprouve fortement la décision de sa jeune épouse de participer à un telle entreprise.


Une coupe de cheveux réalisée devant les photographes par Vidal Sassoon lui-même achèvera de parfaire le lancement publicitaire du film. "Rosemary's baby" est devenu l’évènement de 1968 alors que le tournage est encore en cours.

Il faut dire que le casting est excitant, mêlant jeune garde ( Mia Farrow et John Cassavetes) et vieilles gloires (Ralph Bellamy et Patsy Kelly), acteurs de composition (Ruth Gordon) et guest-stars (Tony Curtis alors au fond du trou acceptant d'être une voix au téléphone). Même si il est considéré comme un génie depuis "Le couteau dans l'eau", Roman Polanski n'est pas forcément le responsable de ce très alléchant smogarsbord et si quelqu'un peut être félicité pour cela, c'est incontestablement le producteur, William Castle.




Acteur, scénariste, réalisateur et producteur, William Castle, auquel la Cinémathèque rendit un vibrant hommage en 2009, devint célèbre à la fin des années 50 en accompagnant chacun de ses films de gimmicks destinés à attirer les foules dans les cinémas. Inspiré, disait-il, par le succès aux USA des "Diaboliques" de Clouzot et d'Hitchcock en général, il faisait voler des squelettes dans les salles, faisait signer aux spectateurs des décharges en cas de mort par peur ou insérait un entracte prévenant le public qu'il pouvait encore quitter la projection avant d'être trop effrayé.

Roi donc de la publicité et de l'horreur définitivement B mais réjouissante, William Castle avait un temps envisagé de réaliser lui-même "Rosemary" jusqu'à ce que la Paramount lui préfère Roman Polanski. Il se contenta de produire la chose et de s'accorder une apparition très hitchcockienne : c'est lui, en effet, qui tambourine à la vitre de la cabine téléphonique où Mia Farrow s'est réfugiée lorsqu'elle comprend qu'elle est peut-être victime d'une machination.



En 1968, le nom de William Castle est donc à la fois synonyme de frissons mais aussi de glamour puisque c'est à lui que l'on doit les deux dernières apparitions de Joan Crawford à l'écran : "Strait-Jacket" et "I saw what you did", savantes variations post "Baby-Jane" qui assurèrent un temps à Joan un retour en grâce et un nouveau public.



De toute évidence, c'est à lui que l'on doit la visite que firent Joan Crawford et son chevalier servant préféré de la fin des années 60, Van Johnson, sur le plateau de "Rosemary", tout cela bien sûr sous les flashs de nombreux photographes appelés afin d'immortaliser cette rencontre entre le vieil et le nouvel Hollywood... et de produire encore un peu plus de publicité.



L'histoire devient franchement croustillante puisque si l'on en croit cette source interrogée par Michael Musso, il germa dans la tête de Castle de faire apparaître Joan et Van dans une courte scène du film. Alors que son époux est occupé, Rosemary se rend avec une amie à une représentation du show "The Fantasticks", alors gros succès à Broadway qui lancera la chanson "Try to remember". Pénétrant dans le théâtre, Rosemary aperçoit les deux stars au milieu de la foule. Fin de la scène.

Le problème est que Joan et Van seraient apparus sur le plateau en léger état d'ébriété, ce qui aurait considérablement agacé un Polanski, progressivement très énervé en voyant Joan prendre la doublure de Mia Farrow pour la véritable star du film et franchement hors de lui lorsque Van Johnson se serait montré très intéressé par la bosse déformant le pantalon près du corps du réalisateur. Voyant son plateau lui échapper, Polanski aurait décidé d'annuler la scène, renvoyant tout le monde y compris une Joan Crawford outrée. Ne reste dans le film que Rosemary rentrant du théâtre.


Bruit de couloir ? Rumeur ? La chose ne serait pas aussi intéressante si l'histoire n'avait été racontée à Musso par Rutanya Alda, effectivement doublure de Mia Farrow sur le film. Alors jeune comédienne, Rutanya se rendra célèbre en participant à "Voyage au bout de l'enfer", "Rocky" ou "Amityville II" mais surtout en incarnant Carol-Ann, fidèle assistante de Joan Crawford dans "Maman très chère" en 1981.



Nous répétons régulièrement que la vie est cruelle et paradoxale. Ajoutant qu'elle est délicieusement ironique et que c'est cela, aussi, qui la rend parfois aussi suave.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci !! Encore !!!

Bruno