dimanche 12 février 2012

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Jack Lemmon fit une dernière blague.


A l'été 2000, Jack Lemmon n'est pas au mieux de sa forme. Aux prises depuis des années avec un alcoolisme qu'il a fini par accepter avec philosophie, on vient de lui diagnostiquer un cancer du colon et il sait qu'une chimiothérapie va être indispensable. Mais ce qui l'accable le plus est la disparition récente, le 1er juillet, de son ami, son partenaire et frère de cinéma Walter Matthau, qui lui-même se battait depuis un an avec le même type de cancer.

C'est donc bien triste qu'il se rend à la cérémonie organisée pour Walter à l'association des réalisateurs où, en compagnie de Sophia Loren, Gregory Peck ou Lauren Bacall, on rend un dernier hommage à l'homme qui détestait le plus Barbra Streisand au monde mais pour une bonne raison : il avait tourné avec elle "Hello Dolly".

Gregory Peck, ami fidèle...

S'il est établi que les opposés, non seulement s'attirent mais sont de plus complémentaires, il est pourtant difficile d'envisager plus différents que Jack et Walter. Né dans les environs de Boston, Jack Lemmon va fréquenter Harvard, découvrir le théâtre avant de faire ses débuts devant les caméras de George Cukor dans "Une femme qui s'affiche" en 1954.

D'origine lithuanienne, Walter Matthau (dont la légende prétend encore qu'il était né Walter Matuschanskayasky, en fait une blague du comédien) débutera à New York dont il est originaire et s'imposera sur les planches avant d'apparaitre pour la première fois sur les écrans en 1955 dans le premier film réalisé par Burt Lancaster, "L'homme du Kentucky".



Lorsqu'en 1966, Billy Wilder commence la préparation de ce qui va devenir "La grande combine", il se tourne naturellement vers Jack Lemmon, qui depuis "Certains l'aiment chaud" en 59, est devenu son acteur fétiche. Ensemble ils ont tourné "La garçonnière" et "Irma la douce" et Wilder pense cette fois associer Lemmon à Frank Sinatra. Mais depuis quelques années, Jack observe de loin un autre acteur, qu'il pense convenir parfaitement au rôle. Et c'est ainsi que pour la première fois, Jack et Walter vont se retrouver au générique du même film.

Dire que Walter Matthau doit tout à Jack Lemmon serait un tantinet exagéré, quoi que. "La grande combine" va, en effet, offrir pour la première fois à Matthau un rôle dévoilant ses talents comiques et surtout un Oscar, celui du meilleur second rôle masculin. On l'envisage dorénavant pour des rôles pour lesquels, sans Lemmon et Wilder, son nom n'aurait jamais été retenu. Il devient le grincheux attachant du cinéma américain, pendant que Lemmon prouve peu à peu qu'il peut être un acteur sérieux.


Interrogés de nombreuses fois sur les raisons de leur succès en tant que duo (ils seront ensemble aux génériques de 11 films), Jack et Walter répondront toujours la même chose : une même conception du métier. Lemmon et Matthau sont des acteurs sans ego surdimensionné, admiratifs du travail de leurs partenaires quand ils sont bons et avec un vrai sens de la fidélité.

Lorsqu'en 1971 Jack Lemmon se lance pour la seule et unique fois de sa carrière dans la réalisation, c'est à Walter qu'il confie le rôle principal. Ce sera "Kotch" pour lequel Matthau sera nommé aux Oscars. De la même façon, lorsque le fils de Walter réalise son premier film, il n'envisage aucun autre casting que son père et Jack, qui se retrouveront donc en 1995 à l'affiche de "The grass harp", un des 8 films qu'ils tourneront ensemble dans les années 90.



Il existe assez peu de collaborations de ce type dans l'histoire du cinéma, de duos parfaits résistant au temps et aux rivalités. Jack remporte des Oscars et des prix d'interprétations à Cannes ? Walter collectionne les Tony. Matthau se rend célèbre pour ses déclarations politiquement incorrectes ("Je suis classé en dessous de Barbra Streisand dans la liste des acteurs les plus populaires... et l'idée d'être sous Streisand me donne envie de vomir"), Jack devient monsieur "Allez vous faire foutre", phrase qu'il prononce au moins une trentaine de fois par jour.

Walter Matthau avait d'ailleurs suggéré à Lemmon que cela ferait une excellent épitaphe sur sa pierre tombale, à quoi Jack aurait répondu, en ami fidèle, qu'il la lui laissait, persuadé qu'il pouvait trouver mieux.


Gregory Peck, ami toujours fidèle...

Poussant peut-être un peu loin l'amitié, Jack Lemmon décéda le 27 juin 2001 à Los Angeles, à quelques jours près, un an après la disparition de Walter. Lors de l'hommage qui lui fut rendu, les journalistes ne purent s'empêcher de remarquer que les stars présentes étaient exactement les mêmes que celles qui s'étaient déplacées l'année précédente pour saluer une dernière fois Walter Matthau.

Une question demeurait : allait-on voir l'infamante citation sur la tombe de Jack Lemmon ? Fidèle à sa promesse, Jack trouva mieux et son épitaphe est peut-être une des plus drôles que l'on puisse trouver. On y lit : "Jack Lemmon dans..." et c'est tout.



On peut être mort et suave et c'est une leçon que nous allons tenter de retenir.

1 commentaire:

Francky75 a dit…

j'adore le duo Lemmon-Matthau j'ai leurs 8 films ensemble en DVD :)
1966 : La Grande Combine (The Fortune Cookie)
1968 : Drôle de couple (The Odd Couple)
1974 : Spéciale première (The Front Page)
1981 : Victor la gaffe (Buddy Buddy)
1991 : JFK (JFK) "Lemmon-Matthau dans le film mais pas de scène ensemble"
1993 : Les Grincheux (Grumpy Old Men)
1995 : Les Grincheux 2 (Grumpier Old Men)
1995 : The Grass harp (inédit France) "Lemmon Matthau se parlent que 20sec"
1997 : Croisière galère (Out to Sea)
1998 : Drôle de couple 2 (The Odd Couple II)