Il est fort possible que ce qui se produisit en 1966 avec "Alfie" de Bacharach et David soit un cas relativement unique d'hystérie collective à propos d'un titre qui ne fut jamais numéro 1 mais, au mieux, un gentil numéro 15 grâce à Dionne Warwick, un an cependant après la création de la chanson.
Cela s'explique sans doute par la position de Burt dans cette deuxième moitié des années 60 et son statut de hit maker international, enchaînant les numéros 1 en Angleterre depuis 1958 (Michael Holliday, Frankie Vaughan, Sandy Shaw, Cilla Black) et les top 10 aux USA avec Dionne bien sûr, Gene Pitney, Tom Jones ou Jackie de Shannon. Et ne précisons même pas l'envergure que prendra Burt en 1967 qui sera une année encore plus miraculeuse avec "The look of love" et "I say a little prayer"
Donc pour le dire en peu de mots : en 1966, tout le monde s'arrache les chansons de David et Bacharach et "Alfie" a absolument tout pour plaire : une ballade à la mélodie dévastatrice, pouvant se prêter à quelques démonstrations vocales si on le souhaite (Whitney hier), une avalanche de violons, un soupçon de mélodrame et une premières phrase suffisamment répétée, "What's it all about", pour qu'on la mémorise sans même s'en rendre compte. C'est plaisant, c'est Bacharach, donc tout le monde s'y met.
Un dernier élément va jouer dans la folie "Alfie", qui va durer de 1966 à 1969 et ne s'éteindre (sous sa forme un peu débridée) qu'en 1972 : la création d'un classement "Easy Listening" par le magazine Billboard, bible absolue et officielle des ventes de disques aux USA. Jusqu'à la fin des années 50, les chiffres publiés étaient ceux des meilleurs ventes, sans distinction de genre, à l'exception du top country et du top R'n'B. Mais devant le succès inattendu du rock n'roll et la multiplication des radio refusant d'en diffuser, on créa le top "Easy Listening", dans lequel vous retrouviez inévitablement si vous n'étiez classable, ni dans le rock, la country ou le R'n'B.
Si nous regardons ce classement pour 1965, on y retrouve des gens aussi divers que Jack Jones, Ray Charles, Herb Alpert ou Elvis Presley, qui quittait les charts généralistes dès lors qu'il chantait une ballade pour entrer dans le top "Easy Listening". En gros : les Rolling Stones, Sunny and Cher, les Beachboys : top 100. Petula Clark, Frank Sinatra ou Ray Conniff : top Easy Listening.
Et en 1966, si vous n'êtes pas rock, vous voulez absolument entrer dans le top Easy, que vous soyez une jeune chanteuse prometteuse née 10 ans trop tard, une chanteuse de jazz déjà sur le retour désespérée de vendre des disques ou un arrangeur star ayant pris la décision de monter son propre orchestre. Et forcément, lorsqu'arrive sur le marché une chanson comme "Alfie", qui semble écrite pour le classement "Easy listening", on achète les droits sans se soucier du prix. Et cette folie va durer 6 ans. Et pour les vieilles chanteuses, rendez-vous demain.
2 commentaires:
Easy listening, ça se traduit bien pas ascenseur ?
Allez dire ça à Peggy Lee, Tom Jones ou Johnny Cash mais ça risque d'être sanglant...
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