samedi 24 décembre 2011

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Petula Clark commit l’impensable.


En 1968, Petula Clark a toutes les raisons d'être heureuse. Avec une carrière commencée en 1942 à l'âge de 10 ans, elle a successivement été la petite fille préférée du Royaume-Uni puis, en traversant la Manche, elle est devenue l'anglaise favorite des Français.

Connue en Europe où elle se produit en diverses langues et jusqu'en Australie qui lui offrit son premier numéro 1 avec "The little shoemaker" en 1955, pour le moment, seuls les Etats-Unis ne sont pas tombés sous son charme. Ce sera chose faîte avec "Downtown" en 1964.



Petula Clark va immédiatement être accueillie comme le visage féminin qui manquait à l'invasion britannique du sol américain et dont pour l'instant les Beatles sont les porte-drapeau. Succès éclair et phénoménal, elle est récompensée par deux grammy en deux ans : comme meilleur album rock pour "Downtown" puis meilleure interprète féminine pour "I know a place" en 65. Et comme elle continue d'aligner les hits prouvant qu'elle n'est pas qu'un phénomène éphémère, on considère qu'il est grand temps de lui offrir son propre show à la télévision.

C'est la chaîne NBC qui va faire à Petula la meilleure offre et surtout accepter de se plier aux exigences de son mari et manager Claude Wolff, rencontré à Paris et qu'elle a épousé en 1961 et qui obtient que Petula conserve les droits exclusifs de son émission. Elle y chantera ce qu'elle veut, comme elle le veut et surtout avec qui elle veut. Et ce que Petula désire, c'est Harry Belafonte.



Nous ne reviendrons pas sur la beauté phénoménale d'Harry Belafonte, qui éclate de façon presque douloureuse au dessus de notre curseur et de votre souris, mais nous vous promettons de revenir très prochainement sur la vague calypso qu'il déchaîna sur le territoire américain. C'est en tout cas dans les années 50 qu'il se fait connaître comme chanteur et d'une façon peu discrète : son premier album, "Calypso", qui contient, entre autre, l'imparable "Banana boat song" se vendra à plus d'un million d'exemplaires et restera 31 semaines (!) en tête des ventes.

Acteur, on le voit à Broadway puis dans "Carmen Jones" de Preminger et "Une île au soleil", film qui fait scandale puisqu'on y suggère une histoire d'amour entre les personnages incarnés par Harry et Joan Fontaine.


Mais en 1968, c'est surtout pour ses activités militantes que Harry Belafonte est souvent dans l'actualité. Confident de Martin Luther King qu'il sort régulièrement de prison en payant les cautions, il a également participé à l'organisation de la marche sur Washington de 1963 ("I have a dream").

Le choix de Petula n'est cependant pas politique : un peu au ralenti au début des années 60, la carrière de Belafonte a trouvé un nouveau souffle grâce à ses collaboration avec Miriam Makeba et Nana Mouskouri en 1965. Il est depuis le compagnon parfait pour un duo et on l'adore à la télévision. Il est d'ailleurs le premier artiste de couleur à avoir remporté un Emmy pour un show tv.


L'enregistrement du show de Petula Clark produit par NBC et sponsorisé par Chrysler va se dérouler en mars 1968. Sa construction n'est pas révolutionnaire : Petula chante ses succès, Harry chante ses succès et les deux se retrouvent pour des duos. Mais au cours de l'un d'eux, sur un morceau composé par Petula et dénonçant la barbarie de la guerre, "On the path of glory", emportée par la chanson, Petula saisit affectueusement le bras d'Harry tandis qu'ils terminent la chanson.

En cabine le représentant de Chrysler s'étouffe : il est impensable qu'une femme blanche touche ainsi un homme noir dans un programme destiné à tous les publics. Il exige donc que ce plan soit remplacé par un autre sur lequelle Petula et Harry se tiennent à une distance raisonnable l'un de l'autre. Propriétaire des droits, Petula refuse et fait détruire aussitôt toutes les autres prises de la chanson. Et elle annonce que son show sera diffusé ainsi ou ne le sera jamais jamais.


La controverse va rapidement faire la une de l'actualité, transformant Petula en ardente défenseur des droits des minorités et Chrysler en odieux groupe raciste. La firme réagira immédiatement en limogeant le responsable outré et à l'origine du scandale.

Parce que nous sommes malgré tout aux Etats-Unis, NBC va utiliser cette publicité gratuite pour promouvoir l'émission qui va se voir annoncée dans presque tous les médias possibles. Et la méthode est payante : diffusé le 8 avril 1968, le "Petula Clark special" va être un immense succès, pour la chaîne, pour Petula, dont on disait qu'elle risquait tout de même sa carrière américaine, et pour l'image des afro-américains à la télévision.


Edité aujourd'hui en dvd comme le "légendaire" show de Petula de 68, l'émission est bel et bien entrée dans l'histoire puisqu'elle est considérée comme la première montrant une femme blanche et un homme noir dans un contact physique appuyé, et pas simplement une vague bise ou une tape sur l'épaule, ce qui pouvait tout de même être aperçu.

Mais quelle différence entre ce témoignage de complicité et d'affection et, par exemple, les doigts à peine posés de Perry Como sur l'épaule d'Ella Fitzgerald qui semble sortir du four à la fin de l'extrait qui suit et datant de 1966 :



Aujourd'hui, Petula et Harry, respectivement 80 et 84 ans vont bien, on peut de temps à autre les apercevoir et visiblement Petula était au Casino de Paris récemment mais on ne nous dit rien.



Oh : mais il manque sans doute quelque chose à cette belle histoire pratiquement de Noël :

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci d'avoir rappelé cette histoire et Bravo Petula ! On est très loin de Justin Timberlake exhibant les seins de Janet Jackson sur scène !!

Bruno

soyons-suave a dit…

Lol, vous avez le sens des comparaisons...