dimanche 18 décembre 2011

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Universal voulut s'offrir une nouvelle Deanna Durbin.



En 1938, Deanna Durbin est incontestablement l'une des stars d'Hollywood les plus populaires et sans aucun doute possible l'une des plus rentables. Engagée à la Universal en 1936, après la confusion qui suivit son bout d'essai à la MGM (on la laissa partir et on engagea Judy Garland), elle est rapidement devenue la protégée du producteur Joe Pasternak qui va faire d'elle, en une poignée de films, la nouvelle idole de l'Amérique.

Professionnelle depuis l'âge de 14 ans, elle va, avec l'aide de Pasternak, façonner l'image de la jeune fille moderne que toutes les adolescentes vont bientôt essayer d'imiter. Elle est charmante, volontaire, de temps à autre légèrement butée mais elle peut surtout régler tous les problèmes en lançant une chanson.




Entre 1936 et 1945, Deanna Durbin va enregistrer plus de 50 disques, tourner 20 films. Son fan-club sera le plus large et le plus actif jamais recensé. Actrice la mieux payée des USA en 1945, sa renommée s'étendra jusqu'en Russie où, d'après les propres mots du musicien, elle introduira le jeune Rostropovitch "à la pureté de la musique".

Il n'est pas à négliger que Durbin va surtout sauver la Universal de la banqueroute. Alignant les échecs depuis 1935, c'est "Three smart girls", première association de Deanna et Pasternak qui va enfin faire entrer de l'argent dans les caisses du studio et par fourgons puisque le film, qui n'a presque rien coûté, va rapporter presque 10 fois son investissement de départ.



La Universal va très vite comprendre que posséder une telle pépite sous contrat est une arme à double tranchant. Hollywood observait depuis quelques années ce qui était en train de se produire à la Fox avec Shirley Temple : une enfant grandit et les robes de princesses peuvent vite être ridicules sur une adolescente. Les dirigeants du studio savent donc qu'il faut rapidement capitaliser sur le succès du moment, tout en préparant une éventuelle relève.

Toutes les firmes hollywoodiennes, dès qu'elles étaient parvenues à lancer une star, manufacturaient un clone, destiné à remplacer l'étoile au moindre signe de faiblesse au box-office. Parfois la copie était agitée devant le nez de l'original afin de lui faire comprendre qu'il n'était pas irremplaçable. Luise Rainer et Llona Massey signèrent à la MGM pour succéder à Garbo et Jeannette MacDonald, Sheree North à la Fox fut façonnée afin de succéder à Betty Grable. Même Clark Gable ou Errol Flynn possédaient leurs copies, que dans une grande perversité, on allait même, parfois, jusqu'à faire jouer à leurs côtés.


Gable ? Non, James Craig.


Errol ? Encore loupé : Patric Knowles.

Gloria Jean Schoonover sembla la parfaite candidate pour succéder à Deanna Durbin. Née en 1927 donc de 6 ans plus jeune que Deanna, elle chantait depuis l'âge de 3 ans et était élève au conservatoire de New-York lorsqu'elle attira l'attention de Pasternak. Ressemblant trait pour trait à son modèle, elle signa un contrat de 7 ans avec Universal et débuta sa carrière en tête d'affiche dans "The under-pup" en 1938.



"Mon idole" pense Gloria... sauf que Deanna est à gauche.

Sachant que la comparaison allait être inévitable, Gloria Jean (Schoonover fut bizarrement abandonné en route) fut en fait lancée comme la protégée de Deanna, qu'elle dut en tout et pour tout croiser deux fois au studio et évidemment sous les flashs des journalistes.

Les scénarios des 14 films qu'elle tourna pour Universal n'étaient ni plus ni moins que des resucés de films avec Durbin. Mais au moins, pendant que Deanna tentait d'obtenir des rôles plus matures, Universal pouvait continuer à produire des bluettes qui intéressèrent de moins en moins de monde.




Lorsqu'en 1945, son contrat avec le studio parvint à échéance, Gloria Jean jugea sage de ne pas le reconduire. Cela faisait 7 ans qu'elle était une copie de Deanna, il était sans doute temps de passer à autre chose.

Préférant tester sa popularité sur les scènes devant du public, elle s'engagea dans une série de concerts qui prit fin faute de spectateurs. En 1947 Groucho Marx lui permit de remettre les pieds sur un plateau aux côtés de Carmen Miranda dans "Copacabana". En 1961 elle était serveuse dans un restaurant tahitien de Los Angeles avant d'entamer une nouvelle carrière comme commerciale pour une société de cosmétiques où elle resta jusqu'à la retraite.



Une version jeune de Deanna n'ayant pas totalement fonctionné, Universal fut ravi lorsque Susanna Foster, soprano qui errait sans rôle chez Paramount après avoir été renvoyée de la MGM pour avoir refusé de jouer dans "National Velvet" (qui fera de Liz Taylor ce que l'on sait) accepta de signer chez eux.

La raison qui poussa le studio à prendre sous contrat une nouvelle jeune chanteuse lyrique quand ils en avaient déjà 2 dont la plus célèbre du monde fut simple : montrer à Deanna Durbin qu'il était malvenu de refuser un projet monté strictement pour elle. Susanna Foster fut donc embauchée pour un film et un rôle, auxquels Deanna venait de dire non. Ce sera "Le fantôme de l'opéra" avec Claude Rains et Nelson Eddy, plus gros succès du studio de l'année 1943.




En 1943 Deanna Durbin avait 22, Susanna 19 et pendant que la première se battait afin d'obtenir des rôles plus intéressants et essayer éventuellement de sauver son premier mariage, on mit la seconde au travail.

Entre 1944 et 1946, Susanna tourna 6 films quand Deanna n'apparut que 3 fois sur les écrans. Universal pouvait enfin souffler et écouter de façon distraite mais polie les récriminations artistiques de leur vedette numéro 1. Deanna n'était pas contente ? Et alors ?



La surprise dut être de taille lorsque fin 1945, Susanna Foster déclara qu'elle ne jouerait plus que dans des projets qu'elle jugerait dignes d'elle. Suspendue pendant un an, on l'envoya faire des concerts en Europe mais lorsqu'à son retour elle refusa de nouveau toute proposition, le temps fut venu de se séparer en toute amitié.

Universal ne regretta sans doute jamais de s'être débarrassé d'une énième actrice difficile quand au même moment, Deanna Durbin devenait de moins en moins gérable. Après quelques apparitions sur les scènes de New-York et Londres, Susanna Foster fit surtout les titres de la presse à scandales en raison d'un divorce et de tragédies personnelles diverses. Dans les années 60 elle travaillait comme standardiste à Manhattan et disparut en 1985 dans un foyer pour artistes nécessiteux.



Finalement, les efforts d'Universal pour trouver une remplaçante convaincante à Deanna Durbin portèrent leurs fruits lorsque Charles Rogers, producteur du premier film de Deanna, découvrit en Suzanne Burce tout ce que le studio recherchait désespérément.

Suzanne chantait depuis l'âge de 5 ans. Elle avait l'expérience du travail, ayant déjà tourné pendant deux ans à travers les USA, avait participé à des shows radiophoniques et à 14 ans était totalement malléable. Lorsqu'on lui apprit au téléphone que désormais elle s'appellerait Jane Powell, du nom de son personnage dans son premier film "Song of the open road", elle répondit d'accord.




Jane Powell, entre temps devenue blonde et bouclée, est la seule prétendante au titre de "nouvelle Deanna Durbin" à avoir réussi, le problème, pour Universal, est qu'elle ne le fera pas chez eux mais à la Metro Goldwyn Mayer. Le destin finalement tient à peu de choses : véritablement découverte par Rogers qui était bien producteur pour Universal, celui-ci prit son indépendance du studio juste avant le tournage de "Song of the open road", qui sera distribué par la United Artist, laissant Jane libre comme l'air. La MGM cette fois-ci ne laissa pas passer sa chance : elle signa Jane avant qu'Universal ne puisse intervenir. Powell deviendra une des stars Metro les plus populaires jusqu'en 1955.

Le succès de Jane Powell éclata en fait en 1947 avec "Three daring daughters", remake de "Three smart girls" avec Deanna Durbin. Le film, qui rapporta des millions, était produit par... Joe Pasternak, entre temps, lui aussi, passé à la MGM. Universal n'avait plus que ses yeux pour pleurer : c'est l'année que choisit Deanna Durbin pour quitter Hollywood, s'installer à Paris et mettre un point final à ses activités.




Jane Powell et Deanna Durbin connurent finalement la même carrière, entre les mains du même producteur, qui refit dans les années 40 et 50 à la MGM ce qu'il avait déjà fait à la Universal dans les années 30. Mais les comparaisons s'arrêtent là. Deanna Durbin se retira des écrans lorsqu'elle comprit que le cinéma n'avait plus rien à lui offrir, Jane Powell arrêta de faire des films lorsqu'on ne voulut plus d'elle.

Alors que la dernière photo de Durbin date de 1981 et sa dernière interview accordée de façon exceptionnelle de 1983, Jane Powell est tout sauf une actrice recluse. Dernièrement elle posait dans les bras de Cheyenne Jackson après un concert de ce dernier à New-York.




En 1981 à plus de 60 ans, Deanna Durbin restait étonnement juvénile. Elle vient de fêter ses 90 ans quand Jane Powell vogue, elle, et avec classe, vers ses 83. Il est donc évident que le chant conserve. Et s'il y a une morale à cette édifiante histoire c'est évidemment que copier n'est pas jouer. Copier n'est même pas suave, c'est tout.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci, merci, j'adore ces histoires!
La légende raconte que Louis B. Mayer -visionnant le film (Every Sunday) de la MGM, avec DD et Judy Garland, elle-même débutante - ait ordonné de « renvoyer la grosse ». Deanna Durbin sera donc remerciée tandis que Judy Garland signera un contrat avec la MGM (d’aucuns disent que Louis B. Mayer visait en réalité Judy Garland quand il parlait de « la grosse »).
La renommée de Durbin fut internationale et une photo d’elle a même été retrouvée au-dessus du lit d’Anne Frank dans le grenier où cette dernière était cachée avec sa famille durant la Seconde Guerre mondiale.
Bruno

soyons-suave a dit…

Comme souvent la vérité est sans doute ailleurs puisque les photos des deux jeunes filles à l'époque de "Every sunday" en 36 montrent une Deanna mince et une Judy... comment dire... en plein tourments de l'adolescence ?
Judy était en fait déjà sous option à la MGM alors que Deanna n'était là que pour 6 mois, en vue d'un éventuel rôle dans un film, "Gran", dont le tournage, à force d'être reculé, l'emmena au-delà de ses 6 mois. On lui fit tourner le court avec Garland pour l'occuper.