dimanche 11 décembre 2011

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Carmen Miranda s'offrit un nouveau nez.


En 1943, Carmen Miranda est officiellement l'actrice la mieux payée des Etats-Unis. Elle vient d'achever ce qui va se révéler être son film le plus marquant, "The Gang's all here" de Busby Berkeley ("Banana Split" in french) et malgré un mariage pas forcément heureux, est suffisamment sereine quant à son avenir pour envisager de quitter la Fox et devenir indépendante.

Installée depuis 1939 aux USA après une carrière exemplaire au Brésil (elle a été la première chanteuse sous contrat avec une radio afin d'assurer l'exclusivité de ses prestations), Carmen Miranda est une curiosité, la première importation brésilienne à avoir un tel impact sur la société américaine depuis le café : elle lancera la mode du turban, du nombril à l'air, des plateform-shoes, Saks à New-York créera une ligne de bijoux inspirée par ses costumes et un an après sa première apparition sur les écrans, elle laisse ses empreintes devant le Grauman's Chinese Theater.


Il n'est un mystère pour personne que la carrière de Carmen à Hollywood doit pour beaucoup à la guerre en Europe. Voyant les échanges avec le vieux continent considérablement limités depuis que l'Allemagne a envahi la Pologne, les USA se sont naturellement tournés vers leurs voisins les plus proches afin de combler les pertes économiques dues au conflit européen.

Roosevelt va lancer à cette fin une "Good neighbor policy", grande entreprise de rapprochement qui va toucher le Mexique, l'Argentine, le Brésil, appelant à l'aide Hollywood qui va, pour séduire ces voisins soudain si séduisants, produire quantité de film brossant dans le sens du poil ces pays qu'on ne souhaite surtout pas voir rejoindre les forces de l'Axe.


Carmen Miranda va devenir l'ambassadrice de cette politique, montrant à quel point les USA aiment l'Amérique du sud : entre 1940 et 1942, elle apparaîtra dans "Sous le ciel d'Argentine", "Une nuit à Rio" et "Weekend à la Havane". Et si son pays d'adoption lui reproche de se vendre à l'Oncle Sam et de proposer non pas une image réelle mais une caricature du Brésil, Carmen poursuit sa route en acceptant d'être LA Brésilienne préférée des américains et bientôt du monde, quitte à en faire beaucoup.

Si Hollywood n'a eu aucun mal à imposer Carmen Miranda, c'est qu'elle possédait tout ce que les studios mettaient parfois des années à obtenir chez leurs poulains : une image forte, immédiatement identifiable, un physique parfait, un sourire éclatant, un regard intense et surtout une très forte capacité de travail sans jamais la moindre plainte. Carmen voulait réussir, prête à tous les sacrifices afin de parvenir à la perfection, entreprise que gênait un petit détail : son nez.


Les photos pré-Fox de Carmen Miranda expliquent le malaise de la future reine des bananes. Malgré les régimes, les heures de danse, les soins divers et les artifices du maquillage pour modeler son corps et son visage, elle ne supporte pas son nez, large, un peu épaté, présentant de plus une légère bosse visible lorsqu'elle se présente de profil ce qu'elle ne fait pratiquement jamais.

Elle subit donc une première opération en 1939, pratiquée par le sinistre docteur Holden qui sera, quelques années plus tard, responsable du massacre sur Ann Miller. La chirurgie plastique, qui va considérablement progresser après la seconde guerre mondiale, est encore balbutiante. Si on peut facilement changer un sourire et recoller des oreilles (Clark Gable), la rhinoplastie est autrement plus invasive, ce qui explique que Debbie Reynolds préférera ne pas signer un contrat avec la Fox plutôt que de passer entre les mains d'un boucher de l'appendice nasal.




Ann Miller sera moins bien avisée et cédera aux conseils de son agent qui lui garantit qu'une modification de son nez lui assurera un contrat à la MGM. Elle sera effectivement signée par la Metro après des années de disette à la Columbia mais devra porter une prothèse discrète pendant toutes ses années fastes : bien avant l'heure le Dr Holden lui avait fait le nez de Michael Jackson, nécessitant donc quelques comblements plus photogéniques qui s'envoleront hors du plateau pendant le tournage d'un des numéros de "Kiss me Kate".

Carmen Miranda n'est pas plus satisfaite en 1940 de son nouveau nez, qu'on modifie sur les photos de presse, quitte à la rendre méconnaissable. Sur pellicule il est moins possible de tricher. Carmen devient donc dès qu'elle arrive sur un plateau la meilleure amie du directeur de la photographie, passant des heures à étudier le placement des lumières, les meilleurs angles afin de minimiser l'infâme protubérance.




Mais fin 1943, la coupe est pleine. Après la première de "Banana Split" dans lequel elle a l'impression de voir Cyrano en drag, Carmen décide qu'une seconde opération s'impose, d'envergure celle-ci et s'envole pour St Louis où officie le docteur Blair. Cet éminent praticien s'est distingué dans le domaine de la chirurgie reconstructrice pendant la première guerre mondiale et est considéré comme le meilleur plasticien au monde.

En Mars 1944, Carmen, sa mère, sa soeur Aurora, son maquilleur et son attaché de presse privatisent un étage du Park Plaza Hotel de St Louis afin de faire face, non seulement à l'opération mais surtout à la convalescence. Bien leur en prend puisque la rhinoplastie se révèle un cauchemar. Le lendemain de l'opération, la température de Carmen s'élève, son nez opéré gonfle. On diagnostique rapidement une septicémie et la couleur verte que prend subitement Carmen indique une attaque du foie. Elle restera pendant 8 semaines à l'agonie.


Le nez de Carmen après cela ne sera plus jamais comme avant, c'était le but mais Carmen non plus ne sera tout à fait la même. L'expérience traumatisante et la peur d'être à jamais défigurée l'ont laissé dépressive, dépendante de calmants et anti-douleurs divers.

Déjà fragile quant à son apparence, Carmen sera désormais totalement obsédée par son image, optant parfois, alors que le résultat de l'opération est parfait, pour une prothèse à la Ann Miller, modérant ses apparitions à l'écran au profit des concerts et de la télévision.



Sa mort en 1955 à l'âge de 46 ans prendra Hollywood par surprise. La veille de son décès elle enregistrait un épisode du show de Jimmy Durante pour NBC, émission qui ne sera jamais rediffusée jusqu'en 1996. Il faut dire que les images sont éprouvantes : vers la fin de son numéro, Carmen s'effondre avant de se reprendre et finir le sketch qu'elle interprète avec Durante. Voyant le présentateur inquiet, elle sourit et répond qu'elle est à bout de souffle. Elle ignore qu'elle vient d'avoir une première crise cardiaque. La seconde la tuera le lendemain matin. Elle sera inhumée à Rio devant une foule digne des funérailles de Rudolph Valentino.

Carmen avait semble-t-il particulièrement malmené son corps depuis 1944 et l'opération nasale. Ses proches imputèrent sa mort à un état de fatigue intense. Elle n'avait pourtant travaillé que 4 semaines en 1954. Bien des années plus tard, sa soeur Aurora confiera à un magazine brésilien la dépendance de Carmen aux amphétamines.




Il existe à Rio un charmant musée Carmen Miranda où l'équipe de Soyons-Suave ne désespère pas un jour d'aller présenter ses hommages à la plus célèbre brésilienne du monde mais également à ses robes et ses chaussures. Il semblerait que la boutique du dit-musée vaille, à elle seule, le voyage.

Pas particulièrement enclin à la colorisation, puisque nous avons déjà eu l'occasion de vous proposer la magique restauration en HD de "That night in Rio", optons pourtant pour les nouvelles couleurs de "Let's do the Copacabana", qui réparent un sacrilège absolu : le noir et blanc. Car si quelque chose n'est pas suave dans ce monde, c'est bien Carmen sans couleur.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci, j'adore ces contes et légendes sur ces personnages hauts en couleur. Pour ma part, j'ai longtemps cru que Carmen était un travesti, une drag queen avant l'heure. Comme Judith Magre, d'ailleurs.
Bon et suave dimanche
Bruno