dimanche 3 mars 2013

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où un échec fut un succès et un succès un échec.

















Le 25 avril avril 2010 débutaient à New York les représentations de ce qui était annoncé comme un évènement : la reprise de "Promises Promises", comédie musicale invisible depuis sa création en 1968. Il est fréquent que Broadway recycle ses anciens succès mais dans le cas présent, il s'agissait plus de donner une seconde chance à un spectacle qui, dans l'esprit de tous, avait été un échec. 

Pourtant, en 1968, "Promises Promises" était le show dont tout le monde parlait et cela pour deux raisons. Il s'agissait tout d'abord de l'adaptation sur scène du triomphe de Billy Wider, "La garçonnière", oscar du meilleur film en 1960 dont le livret avait été écrit par Neil Simon. Et surtout, pour la première fois, Burt Bacharach et son parolier Hal David s'aventuraient sur la 42e rue. Et il était difficile de faire plus hot que Bacharach en 1968. 





































Si certains prétendent que la popularité, immense, de Bacharach à la fin des années 60, tenait surtout au fait que, pour une fois, un compositeur ne ressemblait pas à un bibliothécaire, il est plus réaliste d'attribuer son succès à ses seuls talents de compositeur. 

Et à sa productivité : depuis 1957, pas une année sans qu'une chanson signée de sa main ne figure dans le top 10 des ventes. Et secondé par Dionne Warwick, ils devenaient plus dangereux pour les hit-parade qu'Attila et sa horde : "Don't make me over", "Walk on by", "I say a little prayer", plus les bandes originales de "What's new pussycat" et "Casino royale".























En 1968, Burt Bacharach et Hal David s'attellent donc à leur première comédie musicale dont les chansons sont écrites très rapidement, comme à leur habitude. Le show, produit par David Merrick (Gypsy, Oliver, Hello Dolly...) et chorégraphié par Michael Bennett (futur chorégraphe de Company, Follies et Chorus Line) s'annonce comme une énorme machine, avec tout de même une ambition : faire enfin entrer la musique contemporaine à Broadway. 

Après des essais à Boston et Washington, le spectacle est modifié, Bacharach et David suppriment certaines chansons, en écrivent de nouvelles et enfin, le 1 décembre 1968, "Promises Promises" ouvre au Shubert Theater de New York. Et c'est alors que débute notre belle histoire du dimanche. 



Si on se fie aux archives de Broadway, "Promises Promises" va se jouer pendant 4 ans et 1300 représentations, pendant que parallèlement, une troupe s'installera à Londres pendant presque deux ans. La comédie musicale remportera 2 Tony : meilleur acteur pour Jerry Orbach et meilleur second rôle féminin pour Marian Mercer. La bande originale héritera d'un Grammy. On est à priori assez loin de l'échec.

D'où vient donc cette idée fort répandue que "Promises promises" fut un four et que de reprendre le spectacle en 2010 était un suicide ? Aussi étrange que cela puisse paraître, cette sensation provint de la musique, c'est à dire des chansons de Bacharach et David, qui ne firent pas exactement sur le public l'effet escompté.





















En fait, la carrière de la bande originale de "Promises promises" est un magnifique exemple de ratés et de maladresses qui commence lorsque, Dionne Warwick enregistre des titres du show sur son nouvel album, qui sort quelques semaines avant que le spectacle n'arrive à Broadway.

Burt en souhaitait le plus grand nombre, seuls deux finalement sont retenus, la chanson "Promises promises" et "Whoever you are, I love you". La première va tout de suite se classer dans les charts à la 19e place mais rapidement suivi par un autre titre de l'album, "This girl's in love with you", qui monte aussitôt à la 7e, ce qui est formidable, sauf que cette chanson ne fait pas partie du show. Premier malentendu : les spectateurs de la comédie musicale l'attendent, en vain.






















"I'll never fall in love again", peut-être le seul véritable tube de "Promises promises" n'avait aucune chance de figurer sur l'album de Dionne Warwick puisque la chanson fut intégrée au spectacle lors des essais à Boston. Elle est par contre repérée par Bobbie Gentry, qui est une star depuis son "Ode to Billy Joe" alias la "Marie Jeanne" de Joe Dassin, qui l'enregistre et devient numéro 1... mais en Angleterre. Elle ne sera popularisé aux USA qu'en 1970 lorsque Dionne Warwick pourra cette fois mettre la main dessus.

De leurs côtés, Tony Bennett, Bobby Short ou les Enoch Light Singers reprennent "Whoever you are, I love you" mais sans jamais en faire un succès. D'autres tentent "Knowing when to leave" comme la jeune Sue Raney ou les Carpenters. Et c'est tout. Quatre chansons de "Promises Promises" se promènent sur les ondes et dans les magasins de disques mais sait-on seulement qu'elles sont extraites de la comédie musicale ? En fait non.
























Le problème des chansons de "Promises promises" peut être résumé de la façon suivante : trop stylisées pour Broadway et trop Broadway pour les radios. La carrière de la bande originale était en fait jouée d'avance lorsque David Merrick, le producteur, comprit qu'il était impossible aux spectateurs de sortir du théâtre en fredonnant un des airs entendus, pour la simple et bonne raison qu'ils étaient infredonnables après une seule écoute.

Essayez d'ailleurs, par exemple, en suivant "Knowing when to leave" par Dusty Springfield, que la chanteuse jugera plus sage de ne jamais graver sur disque. Où est le refrain ? Ah, il est déjà passé ! Mais non le voilà. C'est à devenir fou. Entre nous, essayer la perruque nous semble beaucoup accessible que la chanson.



En 1969, un peu déçu que ses chansons pour "Promises promises" n'aient pas occasionné le raz de marée qu'il espérait, Burt Bacharach va décider de lui-même s'en charger. L'album "make it easy on yourself" reprend donc les quatre titres qui ont déjà été exposés aux oreilles du public : "I'll never fall in love again", "Knowing when to leave", "Promises promises" et "Whoever you are I love you", plus une cinquième, le tout arrangé cette fois comme il l'entend.

La première se classera à la 18e position des charts et c'est tout. Burt Bacharach ne sera jamais Cole Porter, Irving Berlin ou Gerschwin. Il y a au moins 7 tubes imparables dans "Porgy and Bess". Il y en a à peine un dans "Promises promises".
























"Promises promises" sera la seule tentative de Burt Bacharach à Broadway, tout comme "Les Horizons perdus" sa seule participation à un film musical. Bacharach maîtrisait l'enregistrement des albums en studio, l'écriture d'une chanson pour la radio, il sera désolé de ne pas pouvoir faire plus.

Les producteurs du revival de "Promises promises" en 2010 en firent plus, eux, puisqu'ils jugèrent plus sage d'ajouter aux chansons originales deux immenses tubes de Bacharach, "I say a little prayer" et "A house is not a home", qui se retrouvèrent donc, alors qu'ils n'avaient rien à y faire, dans cette reprise. Les spectateurs furent contents, ils connaissaient maintenant au moins 6 chansons. Le show se joua pendant 300 représentations.

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