En 1941, rien, mais vraiment absolument rien ne peut laisser supposer à Elizabeth Friedlander que sa vie va être agréable et pour cause. Née à Berlin en 1903, elle a du fuir l'Allemagne après la montée au pouvoir de Hitler puisqu'elle est juive et s'est un temps réfugiée en Italie.
Elle pense être saine et sauve mais le vote de lois antisémites par Mussolini l'oblige à fuir une nouvelle fois et alors qu'elle espère rejoindre les Etats-Unis, seule l'Angleterre lui offre un visa. Sans parler un seul mot d'anglais, elle arrive à Londres où elle devient femme de ménage. Elle va avoir 40 ans, elle est seule, elle passe ses journées avec un balai : qu'attendre donc de l'existence ?
Le salut d'Elizabeth Friedlander va venir du très beau poète et éditeur Francis Meynell dont les traits réguliers et le charme certain n'ont ici que très peu à voir avec la suite. Libéral, franchement même socialiste et ardant défenseur de la cause féminine, Francis détient une information concernant Elizabeth et surtout son passé : elle n'est autre que l'auteur de la police de caractères "Elizabeth", au départ baptisée "Frielander" mais que les nazis à Berlin ont expurgé de ses sonorités israélites.
Car Elizabeth Friedlander est l'une des première femme graphiste en Allemagne et au monde. Elle a travaillé à Francfort pour l'éditeur Bauer pour qui elle a créé le "Elizabeth Antiqua". Obligée de se réfugier en Italie, elle a été l'une des principales illustratrices de la maison d'édition Mondadori à laquelle nous devons aujourd'hui des magazines tels que Grazia ou Closer mais qui diffusait alors "La divine comédie" de Dante.
Parce qu'on ne peut laisser une artiste telle que Elizabeth laver les sols à grandes eaux, sur les recommandations de Meynell, elle est embauchée par le Ministère de la défense britannique qui lui demander de réaliser de faux documents signés de la Wehrmacht. Très habile, elle devient rapidement une des têtes pensantes du département de lutte contre la propagande nazie tout en commençant à intéresser les éditeurs britanniques.
Et c'est finalement à la fin de la guerre que Elizabeth va voir sa vie changer lorsque l'éditeur Penguin, qui depuis 1936 a introduit le livre de poche en Angleterre va lui proposer un contrat. Attachée tout d'abord à la branche "édition musicale" du groupe, elle dessine des dizaines de motifs pour les partitions Penguin pour étendre ses activités à l'ensemble des départements. Elizabeth est devenue madame Penguin et les collectionneurs s'en frottent encore aujourd'hui les mains.
Jusqu'à sa mort en 1984, Elizabeth Friedlander va donner naissance à des milliers de compositions qui vont devenir des papiers peints, des tissus, des couvertures de livres, des cartes, des affiches. Elle œuvrait même à plus de 80 ans pour les commerçants de la petite ville irlandaise où elle avait pris sa retraite en leur dessinant gracieusement des encarts publicitaires et des cartes de visites.
Mais l'heure de gloire de ce génie méconnu du graphisme fut certainement lorsque son employeur lui demanda de revisiter le logo de la maison Penguin à l'occasion de son 25ème anniversaire.
Cela ne lui prit, raconta-t-elle, que quelques instants. C'est depuis longtemps un classique du graphisme.
Pauline Paucker mit un peu plus longtemps pour rassembler la documentation nécessaire à la parution du seul et unique ouvrage consacré à Elizabeth, "New Borders", réalisé à partir des milliers d'archives que laissa la graphiste après sa mort à l'Université de Cork, en Ireland. C'est une merveille. Et un bonheur n'arrivant jamais seul, on commence à organiser des expositions Friedlander et un documentaire a même vu le jour récemment.
Et si nous ajoutons que nous avons, en plus trouvé notre nouveau papier peint...
3 commentaires:
Ah, voilà !! :)
:) Avec une grande naïveté, nous avons débuté la rédaction de ce billet à 10h52...
Passionnant. Merci!
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