Partant du principe qu'on ne fume pas par obligation ou sous la menace ( les condamnations pour "consommation forcée de tabac" sont toujours assez rares), un esprit naïf pourrait croire que si on fumait tant dans les productions hollywoodiennes des années 40 ou 50, c'est que les acteurs adoraient ça. Reconnaissons qu'il est difficile d'imaginer un film de cette époque sans volute et reconnaissons surtout, adepte ou pas de la nicotine, que tout cela était absolument suave, à condition de ne pas tenter la conversion goudronnée en tronçons d'autoroute consommés en une carrière.
Ce qui est beaucoup moins suave est de réaliser que si Joan a allègrement décimé une partie des plantations de Virginie en une cinquantaine de films, c'est uniquement parce que l'industrie du tabac y a mis le prix, des sommes absolument faramineuses récemment découvertes et dévoilées au grand jour par un sénateur US travaillant au boycott définitif des cigarettes.
C'est avec l'arrivée du parlant et le degré de célébrité atteint par Al Jolson à la suite du "Chanteur de Jazz" que les grands groupes du tabac américain ont réalisé qu'ils tenaient là un outil publicitaire formidable afin de promouvoir leurs produits. Un contrat plus tard, Al devenait le premier acteur à figurer sur une affiche Lucky Strike, annonçant que non seulement les cigarettes adoucissaient sa gorge mais qu'en plus, elles lui permettaient de ne pas sombrer dans les sucreries et donc de conserver sa ligne.
Sentant qu'il était encore plus profitable de s'associer avec un studio plutôt qu'une personnalité, Lucky Strike et Old Gold se mirent à signer des contrats d'exclusivité avec la Metro, la Warner et la Paramount, allant jusqu'à verser près de 3 millions de dollars par an aux dirigeants qui ensuite, rétribuaient ceux qui, à l'écran, fabriquaient tranquillement leurs futurs cancers. Dans les années 50, les sommes versées par Chesterfield atteindront l'invraisemblable chiffre de 50 millions.
Pour l'année 1938 par exemple, Lucky Strike, qui tenait une comptabilité exemplaire, versa donc 150000 dollars actuels à Gary Cooper et Joan Crawford, les mieux payés, mais aussi à Myrna Loy et Carole Lombard, 90000 à Fred MacMurray et simplement 30000 au jeune Henry Fonda, alors que Robert Taylor devait se contenter de quelques misérables 21000 billets verts. Cette liste est loin d'être d'exhaustive puisqu'on extime que les 2/3 des acteurs étaient sous contrat avec une marque dans les années 40. Une firme telle que l'American Tabacco sponsorisait également des shows radiophoniques, participait aux budgets des films et construisait avec les studios les campagnes de lancement des nouvelles productions : Joan fume comme un pompier dans "Humoresque", elle sera donc le visage de la nouvelle Camel.
Joan est certainement l'actrice qui s'est révélée la plus versatile en matière de marques puisqu'elle a globalement tout fumé ou plutôt fumé de tout mais avec la même sincérité, déclarant à chaque fois que seules les Camel/Lucky/Chesterfield/Old Gold convenaient à sa gorge délicate. Elle ne s'est arrêtée que deux ans avant sa mort, renonçant par la même occasion à son inséparable vodka. Et c'est finalement la chose la plus intrigante, que Smirnoff n'ait jamais pensé à elle. L'industrie du tabac serait-elle plus fine que celle de l'alcool ? C'est dommage, les deux vont si bien ensemble.
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