dimanche 5 janvier 2020

Les très suaves heures de l'Histoire contemporaine : le jour où le FBI retrouva les souliers rubis.
























Le 4 septembre 2018, une certaine agitation gagne la presse du Minnesota qui s'entasse dans les bureau du FBI local en se demandant bien pourquoi elle a été convoquée en masse. L'attente sera de courte durée et c'est avec fierté pour les agents de l'Agence fédérale et effarement pour les journalistes qu'un voile noir se lève sur un coffret en plexiglas dévoilant son contenu : une paire de chaussures recouvertes de sequins couleur rubis. 

Après 13 ans d’enquête, le FBI n'est pas peu fier d'annoncer qu'il a enfin récupéré les fameux souliers portés par Dorothy dans le "Magicien d'Oz", volés en 2005 dans d'étranges conditions alors qu'ils étaient exposés au musée Judy Garland de Grand Rapids. Où étaient les chaussures pendant toutes ces années ? Le ou les voleurs ont-ils été arrêtés ? Pour l'instant les enquêteurs déclarent ne pas être en mesure d'en dire plus. Anticipons en précisant qu'aujourd'hui, tout ces éléments restent encore mystérieux. 

Mais soyez assurés que c'est une très belle histoire du weekend qui débute. 



















C'est donc le 28 août 2005 que commence, enfin presque, cette rocambolesque histoire lorsque le directeur du petit musée consacré à Judy Garland, situé dans sa ville natale de Grand Rapids, dans le Minnesota, et dans la maison dans laquelle elle grandit, constate avec effroi que durant la nuit, quelqu'un s'est introduit dans la pièce principale et a dérobé ce qui est le clou de l'exposition, les fameux souliers rubis qui permettent de rentrer chez soi lorsqu'en en claque trois fois les talons. 

Ce vol est une catastrophe absolue, non seulement parce que les "ruby slippers" sont une pièce unique, mais surtout parce qu'ils ne sont pas la possession du musée mais un prêt. Ils appartiennent en effet à un collectionneur privé, Michael Shaw, qui a accepté de les confier au musée le temps d'un été et après avoir pris soin de les assurer pour une valeur d'1 million de dollars. 

Appelée immédiatement, la police locale lève, lors de ses premières constatations, plus d'un sourcil : visiblement le ou les voleurs sont entrés par une porte qui n'était pas fermée. Les caméras de surveillance, exigées par le propriétaire, n'étaient pas installées et aucune alarme n'a retenti lorsque les chaussures ont été enlevées de leur socle. Bizarre, bizarre. 






































Si on soupçonne dans un premier temps le directeur du musée, et tous les membres du personnel, on s'intéresse également au propriétaire des chaussures qui aurait très bien pu être derrière le vol, afin de toucher l'assurance. Mais tout le monde ayant un alibi, on cherche ailleurs : de simples vandales ? Des malfrats locaux ? Un collectionneur prêt à tout pour obtenir les souliers ? C'est d'ailleurs cette dernière piste qui est longtemps privilégiée, tout ce qui touche au "Magicien d'Oz" étant hautement recherché et valant des fortunes. 

Les années passent, on s'active sans résultat, de plus en plus lassé par les innombrables pistes qui s'avèrent des voies sans issue. On drague des étangs lorsqu'une rumeur prétend que les souliers auraient été dérobés par des adolescents blagueurs, soudain effrayés par l'ampleur de leur geste et qui s'en seraient débarrassés. On rédige des mandats de perquisition, chaque fois qu'un témoin prétend avoir vu les chaussures chez un fan de Judy. 

Et on s'empare de la moindre paire vendue lors d'enchères réelles ou virtuelles, toutes prétendues authentiques et finalement toutes fausses, ce qui est assez facile à vérifier puisqu'il suffit de comparer les chaussures à l'autre paire dont on dispose : celle exposée au Smithsonian Museum de Washington. 


















Car, et c'est une surprise pour beaucoup, il n'existe pas qu'une paire de souliers rubis ayant réellement été portés par Judy Garland dans "The Wizard of Oz" mais au moins deux, et même trois, voire quatre et finalement sept, si on en croit les rumeurs. 

Tout cela est finalement assez logique et les archives de la MGM attestent de la chose : plusieurs paires ont été confectionnées en 1939, pour Judy, sa doublure, pour les plans d'ensemble et les gros plans. Particulièrement fragiles, il fallait prévoir les éventuelles détériorations des souliers en cours de tournage, des souliers taille 36 achetés blancs dans un magasin de Los Angeles et recouverts à la main, à la fois de sequins faits en France et de faux rubis pour le nœud central, en plastique et en verre. 

Et le point commun entre la paire volée et celle du Smithsonian, outre qu'elles soient toutes les deux authentiques, est un homme, Kent Warner, qui ajoute une extra touche de suavitude à cette histoire déjà incroyable. 


























Costumier de son état, Kent Warner n'aurait sans doute jamais laissé de trace dans les annales de l'histoire du cinéma s'il n'avait été contacté en 1970 par l'antiquaire David Weisz, qui venait de décrocher le contrat de sa vie : organiser la vente des archives de la MGM. Le mythique studio venait d'être acheté par l'homme d'affaire Kirk Kerkorian qui n'en avait pas grand chose à faire cinématographiquement parlant. Il voyait dans son acquisition un investissement immobilier, la MGM occupant des hectares dans Los Angeles. Mais avant de vendre les terrains il fallait se débarrasser des stocks de costumes et d'accessoires. Il allait donc tout vendre. 

Incapable, seul, de répertorier la masse invraisemblable des futurs lots, Weisz, l'antiquaire, confia donc à Warner, le costumier, la tache de réaliser l'inventaire des costumes en distinguant ceux qui pourrait rapporter de l'argent de ceux qui n'intéresseraient personne.

Warner passa donc des semaines dans les ateliers poussiéreux du studio, à faire des listes et des listes de robes, de manteaux, de chapeaux mais en prenant soin de mettre de côté, pour lui, des pièces qu'il jugeait dignes d'intérêt. C'est sur une étagère oubliée qu'il découvrit ainsi un jour 4 paires de souliers rubis, qu'il reconnut aussitôt. Il en conserva 3 et en remit une seule à Weisz, qui ignorait qu'il en exista d'autres. Le jour de la vente, la paire considérée comme unique se vendit 15 000 dollars, ce fut d'ailleurs le prix record de ces enchères, organisée sur le plus grand plateau de la MGM et qui marquèrent les débuts de collectionneuse de Debbie Reynolds.





















La paire exposée lors de la vente MGM de 1970 fut achetée par un groupe de financiers qui décidèrent en 1976 de la léguer au Smithsonian. Choix louable mais étrange lorsqu'en pense posséder une pièce unique. Choix logique en fait puisqu'en 1976, on savait désormais qu'il existait plusieurs paires de chaussures rubis. 

La nouvelle ne fut pas dévoilée par Warner, qui depuis 1970, vendait discrètement ses chaussures à des collectionneurs privés comme Michael Shaw, le futur propriétaire des chaussures volées à Grand Rapids et qu'il acquit pour 2500 $ mais par une institutrice de 72 ans, qui depuis 1940, possédait, elle-aussi, une paire de ruby slippers. Etudiante, Roberta Bowman avait participé à un concours organisé par La MGM dont elle remporta le deuxième prix : un exemplaire des chaussures du "Magicien d'Oz". 

Découvrant que les souliers vendus étaient annoncés comme une pièce unique, elle se présenta devant la presse afin de rectifier l'information. Elle devint aussitôt une célébrité locale, fut maudite par les acheteurs de la paire MGM et Weisz et décida finalement en 1988 de les vendre pour 165 000 dollars. L'acheteur les remit en vente en 2000 et il en obtint 660 000.






















Mais ne sommes-nous pas en train de nous perdre un peu ? Aussi faisons aussitôt un point nécessaire. Une paire de slippers fut donc achetée en 1970 puis offerte au Smithsonian. Une seconde, la paire Bowman, fut achetée puis revendue à un particulier. Kent Warner en vendit une paire à Michael Shaw, qui fut volée en 2005 et retrouvée en 2018. Peu de temps avant sa mort, en 2012, Warner en vendit une seconde paire pour pratiquement 2 millions de dollars, des acheteurs anonymes qui se révélèrent être Leonardo DiCaprio et Steven Spielberg qui l'offrirent au Musée du Cinéma de Los Angeles. 

Cela fait 4. Lors de la vente de sa collection, Debbie Reynolds dévoila une paire différente, dite la paire "arabe", voir ci-dessus, un temps envisagée puis finalement abandonnée par Fleming le réalisateur du "Magicien d'Oz". Elle l'avait obtenue discrètement de Warner, également en 1970, en marge de la vente MGM. Et cela fait 5. 

Et c'est alors qu'arrive le moment que nous préférons. Le 4 septembre 2018, le FBI, souvenons-nous, annonçait fièrement avoir retrouvé la paire volée à Grand Rapids, sans dévoiler comment l'Agence l'avait obtenue. Pour vérification, les souliers furent envoyés à Washington et comparés aux exemplaires exposés afin de les authentifier et là, stupeur. Si, en analysant la nature des sequins des chaussures retrouvées, on confirma bien qu'il s'agissait d'une paire MGM originale, on découvrit surtout que le pied droit de la paire de Shaw correspondait au fait au pied gauche de la paire du Smithsonian et inversement. 

Et personne n'avait réalisé avant cela qu'il y avait un problème ! 

  











Parfaitement organisée, la MGM avait pris soin de faire graver sous le talon d'une des chaussures, et non les deux, le numéro de la paire réalisée. La paire Shaw était la 7, celle du Smithsonian la 3, il y avait eu inversion des chaussures à un moment, sans doute lorsque Warner les avait subtilisées des étagères et voilà. 

Les exemplaires 1, 2, 3, 4 et 7 étant identifiés, il reste donc à découvrir où se trouvent les 5 et 6. Et qui a volé la paire de Shaw ? C'est finalement presque un  détail. L'important étant qu'une nouvelle paire vaudrait sans doute aujourd'hui autour de 6 millions de dollars. 

Et c'est suffisant pour rentrer chez soi. Ou bien aller où on veut, si vous voulez notre avis. Du moment qu'on suit la route de briques jaunes... 


3 commentaires:

charlus80 a dit…

Superbe enquête cher So-su. Je suis toujours épaté par vos sources d'information et la richesse de votre iconographie.

★Bruno Lucas☆ a dit…

Hâte de lire tout ça ! Merci !

soyons-suave a dit…

C'est aussi pour cela, cher Baron, que les numéros de "Soyons-Suave weekend" se font un peu rares. Mais que de plaisirs :)