dimanche 21 décembre 2014

Les très suaves Heures de l'Histoire Contemporaine : le jour où Bonnie Pointer voulut qu'on l'attache.

































En ce début d'année 1978, Bonnie Pointer a toutes les raisons d'être heureuse. A l'origine des Pointer Sisters, créées en 1970 comme un duo avec sa plus jeune soeur June, puis un trio lorsqu'elles furent rejointes par Anita et enfin un quatuor après que l’aînée, Ruth, ait accepté d'abandonner sa vie de mère au foyer, elle a connu en famille une ascension fulgurante. 

Surgies de nulle part en 1972 (enfin c'est une façon de parler puisqu'elles sont originaires d'Oakland), les Pointer Sisters sont en 1977 le groupe féminin qui compte et qui décoiffe surtout. Elle vendent des disques, font du cinéma, des concerts à guichets fermés et viennent même d'empocher le Grammy de la meilleure chanson Country avec "Fairytale", une première pour un groupe pas franchement texan et franchement noir. 

















Si c'est Anita qui chante la voix principale de "Fairytale" et l'a d'ailleurs également composé, Bonnie peut être considérée comme la cheville ouvrière du groupe. Elle-même compose, parfois plus de la moitié des chansons du quatuor, elle veille aux arrangements vocaux qui sont la spécialité des soeurs et revendique la maternité de leur look vintage chic avant l'heure qui donne l'impression que les Pointer Sisters sont sorties du Cotton Club en 1923 pour atterrir directement dans les bras d'Isaac Hays ou d'Angela Davis.

Peut-on n'être que le membre d'une formation lorsqu'on a autant de talents ? Bien sûr que non ! En 1977 alors que va sortir leur nouvel album dont elle a écrit pratiquement tous les titres, Bonnie quitte le groupe, laissant ses soeurs orphelines, le quatuor devenir un trio et déclare vouloir partir à la recherche de Bonnie Pointer. Oui, Bonnie parle d'elle à la troisième personne ce qui n'est jamais bon signe mais n'anticipons pas.


































Bonnie, cependant, ne se cherche pas longtemps puisqu'à peine son départ officialisé, elle est contactée et signe chez Motown qui en 1977, peine un peu à trouver un second souffle. Il y eut les années 60 prodigieuses de Detroit mais depuis que la maison mère qui avait offert au monde Diana Ross ou Stevie Wonder s'est installée à Los Angeles, mis à part Les Commodores, le label ne brille pas par ses succès.

Nous ne vous ferons pas l'affront de vous préciser qu'en 1977, le disco est roi. Motown envisage donc sérieusement de revenir à ce qui a fait sa marque de fabrique, c'est à dire faire danser les foules et envisage sérieusement Bonnie Pointer comme nouvelle figure de proue. On lui assigne donc un producteur flambant neuf, on lui donne accès à l'intégralité du catalogue Motown en lui suggérant une ou deux reprises de bon aloi et on l'enferme dans un studio. En 1978, les portes s'ouvrent : Bonnie vient de mettre au monde son premier album solo.





















Avant que vous ne commenciez à vous poser des questions : non, nous n'avons pas bu et avons consciemment publié deux fois la même photo, enfin presque, enfin disons qu'en dehors des variations de couleurs, nous venons de publier deux photos sur lesquelles se trouvent toutes les différences qui comptent et par la même occasion, la belle histoire du dimanche qui commence maintenant.

Sobrement intitulé "Bonnie Pointer", comme d'ailleurs le sera son second album (?), la première aventure solo de Bonnie se compose de 8 titres, ce qui est peu, dont deux reprises, "When I'm gone", gentil tube pour Brenda Holloway et Mary Welles en 1962 écrit par Smokey Robinson et "Heaven must have sent you" des magiciens Holland Dozier et Holland qui ne permirent pourtant pas aux Elgins en 1966 d'en faire un hit. En ce qui concerne les 6 autres pistes, pas une seule écrite par Bonnie.





















Bigre, voilà que nous publions à présent et pour la troisième fois la pochette ! Rien ne va plus ? Au contraire, tout va bien mais pas forcément pour Bonnie qui choisit, après discussion évidemment avec Berry Gordy, "Free me from my freedom" comme premier single de son album. Autant vous le dire, elle ne s'en remettra jamais.

En elle-même, "Free me from my freedom" est une formidable chanson, avec une ligne de basse que n'aurait pas reniée le groupe Chic et un solo de banjo ce qui est malgré tout plus surprenant. La chose est extrêmement dansante (d'ailleurs, pas plus tard qu'hier soir...) mais avouons que les paroles laissent un peu perplexe, encore plus perplexe que le solo de banjo ce qui n'est pas rien. Mais écoutons voir :



Pour nos suaves visiteurs qui aurait choisi Allemand en LV1 et Espagnol en LV2 (vous pouvez d'ailleurs toujours faire un procès à vos parents), Bonnie est dans cette chanson une femme célibataire et libre qui demande à son ancien compagnon d'accepter qu'elle revienne à ses côtés. Elle lui demande donc de la "libérer de sa liberté", de lui "remettre les chaînes (de l'amour)" aux poignets et à nouveau de "l'enfermer", littéralement.

Bonnie supplie, Bonnie implore, jusqu'au pont musical qui dure de 2m50 à 3m40, après quoi la chanson s'envole dans une sorte de délire sm invraisemblable : "attache-moi à un arbre", "mets-moi les menottes", "emprisonne-moi". Petit rappel : en 1978, nous sommes toujours en pleine période féministe/droits des minorités/Black power. Le verdict dès la sortie du single est sans appel ; la chanson va faire un tabac auprès du Ku Klux Klan.

































Malgré un petit succès dans les club gays (oui, c'est étrange), "Free me from my freedom" va être banni d'à peu près toutes les radios et nécessiter que Bonnie viennent s'expliquer dans "Jet Magazine" : c'est avant tout une chanson d'amour, non, il n'y a aucune référence et surtout aucun regret de la ségrégation dans ses propos... mais c'est trop tard.

Dans un mouvement très "panique à bord", Motown sort donc immédiatement un deuxième titre bien moins dangereux, la reprise de "Heaven must have sent you" qui, heureusement pour le label, va plutôt bien marcher. C'est même un succès presque instantané en Europe, on bidouille donc une version longue de 12 minutes qu'on ajoute à l'album qu'on ressort pour l'occasion avec un petit sticker (ce qui explique la deuxième pochette ci-dessus).






















Décidant qu'il faut battre le fer etc..., Bonnie est renvoyée en studio pour donner une suite à son premier opus, ce sera donc de nouveau un album intitulé "Bonnie Pointer" et qui comprendra comme titre phare... une reprise maison à la sauce disco, le "I can"t help myself" des Four Tops de 1965.

Le disque ne sera pas un triomphe mais un micro succès d'estime. Motown dira donc au revoir à Bonnie qui attendra 5 ans avant de refaire parler d'elle musicalement. Depuis, la discographie de "celle qui abandonna ses soeurs" (qui, au passage, rencontrèrent leurs plus gros hits une fois devenues un trio) compte deux autres titres, en 1985 et en 2011 et c'est donc peu.

Ce n'est pas pour autant qu'on ne parla plus d'elle puisqu'elle est régulièrement arrêtée depuis les années 80 pour, au choix, conduite en état d'ivresse ou possession de cocaïne. Ses soeurs lui interdirent les funérailles de June, disparue en 2006 d'un cancer et d'addictions diverses mais depuis cela va bien. On les a même vu rechanter ensemble et nous ne pouvons nous empêcher d'y voir, même si les dates ne collent pas, un peu de la magie de Noël.

































Aujourd'hui Bonnie est semble-t-il heureuse. Nous ne savons pas si elle veut toujours qu'on l'attache à un arbre mais nous aimerions bien, si elle le permet, lui attacher un styliste.

En toute amitié bien sûr. 

5 commentaires:

Anonyme a dit…

beaucoup d'ironie dans le destin de Bonnie merci Monsieur Suave pour cette histoire

Anonyme a dit…

... et cette incroyable chanson !!?!?

soyons-suave a dit…

:)

Nina a dit…

Elle me fait souvenir d' Orelsan le rappeur ' incompris ' le pauvre !

Anonyme a dit…

Honnêtement, rien que les pochettes originales de son premier 33 tours...
Pruneauxyz.