En 1936, les dirigeants de la MGM avaient toutes les raisons d'être heureux. Depuis la création du studio en 1924, né de la fusion de trois firmes, la Metro Pictures, la Goldwyn Pictures Corporation et la Louis B. Mayer Pictures, jamais les bénéfices engrangés n'avaient été aussi faramineux. La MGM était officiellement le studio star d'Hollywood, possédant sous contrat les acteurs les plus populaires et les réalisateurs les plus chevronnés.
Témoignage de cette suprématie, la MGM produisait chaque années entre 18 et 20 films parmi lesquels un certain nombre de "productions prestige", souvent adaptations luxueuses de classiques de la littérature, qu'on retrouvait immanquablement parmi les lauréats des Oscars. Les dirigeants du studio ne le savait pas encore mais 1936 n'allait pas faillir à la règle, "The great Ziegfeld" raflant les récompenses les plus prestigieuses.
Si les autres films du studio, parmi lesquels le premier Fritz Lang américain, "Fury", confirmèrent le fait que la MGM en 1936 était très au-dessus de tout le monde, une production cependant rendait les dirigeants de la firme du lion un peu nerveux : le nouveau Greta Garbo.
Depuis qu'elle avait franchi le mur du son en 1930 avec "Anna Christie", Greta Garbo était la reine incontestée de la Metro, une reine capricieuse, qui n'hésitait pas à disparaître sans prévenir et qui était parvenue à négocier un contrôle presque absolu sur ses films. Greta ne tournait que ce qu'elle voulait, avec qui elle voulait et c'était précisément pour tenter de la rendre plus docile que son propre studio avait importé Luise Rainer, afin de lui prouver qu'elle n'était pas la seule actrice exotique capable de porter un film ambitieux.
Greta Garbo se sentit-elle menacée par la nouvelle favorite de Louis B. Mayer ? Sans doute pas, du moins pas encore. En 1936 elle venait d'enchaîner "Mata Hari", Grand Hôtel", "La reine Christine" et "Anna Karenine". Son prochain film était l'incarnation même de la marque de fabrique de la MGM : un sujet prestigieux, dirigé par un réalisateur apprécié et peu importe qu'elle y incarne une courtisane. "Camille", alias "Le roman de Marguerite Gautier", sous les caméras de George Cukor ne pouvait être qu'un succès.
Prévu pour une sortie nationale le 12 décembre, il ne restait plus à la Metro qu'à lancer la machinerie publicitaire réservée aux grosses productions : affiches, bandes annonces et surtout première avec tapis rouge, photographes et projecteurs. Et tout le monde fut un peu surpris en apprenant que celle de "Camille" se déroulerait à Palm Springs, à deux heures d'Hollywood, c'est à dire au milieu du désert de Mojave.
Le fait est suffisamment exceptionnel pour être signalé dans tous les articles sur le film : c'est bien au Plaza Theater de Palm Springs, à l'époque un peu moins de 10 000 habitants, qu'eut lieu la première du film le plus attendu de l'année puisqu'il mettait en vedette la plus grande star du monde.
Officiellement, le choix de la petite station crée au début des années 1900 était justement l'inauguration du premier théâtre de la ville mais enfin tout de même : il s'ouvrait régulièrement des salles de spectacles au Etats-Unis sans que pour autant Hollywood se délocalise à chaque fois.
Le 12 décembre, une véritable invasion de stars eut donc lieu, accompagnées de l'inévitable cortège de photographes, chasseurs d'autographes et curieux. Les hôtels de la ville furent pris d'assaut et on immortalisa même la vente du premier billet, au prix exorbitant de 5 dollars quand une place en 1936 coûtait en moyenne 25 cents.
La première de "Camille" pouvait avoir lieu, accompagnée d'un frisson : Greta serait-elle présente ? C'était à priori fort peu probable puisqu'elle refusait systématiquement de participer à ce genre d'événement à Los Angeles. Alors à Palm Springs...
Et c'est alors que notre belle histoire du dimanche prend toute sa saveur et son mystère puisque, oui, Greta Garbo fut bien présente à la première de son film, c'est du moins ce que racontent le projectionniste qui la vit ressortir du cinéma, l'ouvreuse qui déclara l'avoir conduit au premier balcon un fois le film lancé et les quelques spectateurs qui reconnurent au même balcon le visage familier, pourtant dissimulé sous lunettes et chapeau.
Greta Garbo était donc à Palm Springs ? Bien sûr qu'elle y était et c'est même pour cette unique raison que "Camille" y fit ses premiers pas.
Officieusement, Greta Garbo, qui depuis la fin des années 20 séjournait fréquemment à Palm Springs, aurait accepté de faire une apparition à la première de "Camille" à l'unique condition qu'elle n'ait pas à se déplacer. En villégiature dans la résidence en plein désert de Gayelord Hauser, le nutritionniste dont elle suivait à la lettre les préceptes et qui de temps à autre partageait sa vie, la MGM n'aurait eu d'autre choix que de céder. Voilà pourquoi Palm Springs, l'inauguration du Plaza Theater ayant été avancée pour l'occasion.
Une autre légende raconte cependant que si Garbo était bien à Palm Springs, ce n'était pas en compagnie de l'homme qui poussa le monde à boire du jus de carottes mais avec Mercedes de Acosta, la poétesse d'origine cubaine, peut-être plus célèbre lesbienne des années 30 et avec laquelle Garbo entretint une relation passionnée et quelque peu perverse, comme en témoignent les 180 lettres qu'elles échangèrent, retrouvées dans les papiers de Greta après sa mort.
L'unique photo de Greta et Mercedes
Célèbre pour ses amours saphiques, il n'est pas étonnant que Garbo ait trouvé à Palm Springs un refuge idéal, tant dans les années 30, la ville semblait être une sorte de "Lesbos sous les palmiers". Pratiquement fondée par des femmes n'ayant que faire de la compagnie des hommes, la ville était la première à disposer d'hôtels réservés à une clientèle féminine, et ce, dès les années 20.
Mais ce qui est sans doute le plus marquant est que le Plaza Theater lui-même, fut crée par Julia Casnell, fière business woman célibataire du Middle West qui acheta le terrain à Cornelia White, pionnière de la station, dont la maison est aujourd'hui le plus vieil édifice de Palm Springs et qui possédait avec sa soeur, la presque totalité de la ville. "Camille" fut donc une affaire de femmes, ce que la présence de Robert Taylor et Barbara Stanwyck ne démentit pas.
Le Plaza Theater, qui connut bien des mésaventures au cours de son existence, est aujourd'hui célèbre pour le spectacle qu'il accueille depuis 1991 : les "Palm Springs Follies", sorte de revue du Lido dont la particularité est que la troupe est âgée de 58 à 82 ans.
Il y a donc toujours beaucoup de femmes dans le lieu qui vit la première de "Camille", dont les bobines projetées le 12 décembre 1936 furent placées dans une boite, elle-même encastrée dans un des murs du théâtre. Mais il paraît que c'est, là encore, une légende. La vérité ne sera connue que le jour où on se décidera à construire un parking à la place du Plaza mais ce qui n'est pas près d'arriver. Les showgirls ont la peau dure.
7 commentaires:
Dans les années 30 la MGM sortait plus que 20 films par an, bien plus.
Ah mon Dieu quelle histoire! Ou la compréhension le dispute suavement au respect... digne d'un mercredi.
Merci!
ps: décidément, vous aimez beaucoup Palm Springs.
@ Vous avez raison Zanzi et nous nous sommes mal exprimés.
Si nos comptes sont justes, la MGM produisit en 1936 exactement 46 films mais parmi lesquels moins d'une vingtaine reçurent le traitement royal du studio (stars, réalisateurs, budget).
Pour le reste, on dénombre des séries B ou des productions destinés aux séances spéciales de 2 films (a-t-on seulement gardé une trace de "Sworn enemy", "Moonlight murder", "Speed" ou "The all american champ" ?) des bobines de Laurel et Hardy et des sérials ( Philo Vance, Tarzan).
Trois réalisateurs totalement oubliés aujourd'hui tournèrent à eux trois 11 films : 4 pour Lucien Hubbard, 4 pour George Seitz et 3 pour Errol Taggart.
la MGM envoyait chaque année aux distributeurs une brochure annonçant ses productions à venir. En 1936 elle en présentait 18 : "The great Ziegfeld", After the thin man", "Born to dance", "Fury", "Camille", "Libeled lady", "Tarzan escape", "San francisco", "Romeo and Juliet", "His brother's wife', 'The good earth", "Love on the run", "The gorgeous Hussy", "Wife versus secretary", "Suzy", "Small town girl", "Piccadilly Jim" et "Way out west".
Voilà pourquoi ce chiffre annoncé :)
"ce qui n'est pas prèS d'arriver", bien sûr. ;o)
Merci pour cette belle histoire du dimanche.
Bruno
Une nouvelle fois Bruno vos messages restent bien mystérieux...
:)
Vraiment j'adore vos promenades et vos très suaves histoires!!! En vous lisant je pense à Louella Parsons, Elsa Maxwell, Maurice Bessy, J.V. Cottom, Joan Mc Trevor...De grandes pointures qui m'ont fait aimer l'âge d'or du cinéma!!! Je retrouve parfois ce plaisir chez vous...
Joan Mc Trevor et J.V. Cottom, dont nous possédons pratiquement toute l'oeuvre, nous sommes plus que flattés Baron.
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