mardi 3 mai 2011

La question suave du jour : doit-on réhabiliter la fosse à conversation ?


Parmi le nombreux courrier que nous recevons chaque jour et qui va de la demande de photos dédicacées à la proposition de mariage, nous avons été touché par le cas de suaves visiteurs, sans doute jeunes et croyant encore au détournement de lieux improbables à transformer en logement décent, qui nous confiaient avoir fait l'acquisition d'un ancien garage automobile mais ne pouvaient être totalement à leur joie, tracassés par la présence au beau milieu de leur plateau d'une ancienne fosse à vidange !

Et il est regrettable qu'aujourd'hui un trou conséquent dans une surface plane soit un problème quand il y a peu de temps encore, c'était le détail qui permettait de différencier une demeure agréable d'une maison vraiment suave : la bien nommée "Conversation pit" ou "fosse à conversation".


La "fosse à conversation" est sans doute la trouvaille la plus suave qui jaillit un jour dans l'esprit d'un architecte : consacrer en contrebas, au beau milieu d'un salon, un espace dédié à la convivialité ce qui veut dire beaucoup de coussins, des moelleux canapés et quelques supports pour déposer son long drink.

L'introduction officielle de la fosse comme symbole du chic absolu se fit en 1957 lorsque Eero Saarinen, créateur de la fameuse chaise tulipe et du terminal TWA de l'aéroport JFK de New York, eut l'idée de creuser le vaste living de la maison qu'il construisait pour Irving Miller dans l'Indiana et d'en confier la mise en oeuvre à Alexander Girard, le tsar du tissu d'ameublement et de la passementerie. Reconnue dès sa livraison comme l'une des maisons les plus iconiques du style moderniste, il ne fallut pas longtemps pour qu'on l'identifie comme "the Miller House" et pour que la fosse à conversation devienne "the détail à avoir chez soi". Et d'ailleurs ne nous privons pas de l'observer sous différents angles.



Parce qu'elle se trouve à une distance idéale du plancher et de la cave, la fosse à conversation permet à la fois qu'on s'y sente divinement bien sans être totalement coupé du monde. Elle permet les confidences lors d'un dîner intime et ne gène en rien par sa présence les grands cocktails. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si elle survécut aux années 50 et s'installa confortablement dans les années 60 et 70 : elle résista au tout carrelage, aux systèmes de son gargantuesques, s'adapta à la mode de l'arrondi et à l'intégré. Elle était faîte pour durer.




Hélas, trop demandée, elle finit par succomber à son succès : on la fit trop petite et donc sans intérêt, dans des coins, de plus en plus profonde, occasionnant chutes diverses et glissades malencontreuses. Elle passa de l'endroit où on se sent bien à celui où on n'est plus en sécurité : on craignait à tout moment d'y recevoir un petit four, un mégot, voire l'hôtesse elle même. Ceinturée d'une barrière elle n'avait plus aucun sens. On la boucha.


Deux réalisations absurdes ayant peut-être conduit à la chute de la fosse.

On trouve encore par hasard quelques survivantes de l'époque bénie où il était suave de regarder sous les jupes mais il est beaucoup plus courant de croiser des gens qui se souviennent qu'effectivement, un jour, ils s'y soient installés. On la rencontre sans s'y attendre dans un lodge au Kenya, et on peut, si on a de la chance, apercevoir par temps clair certains matins sa lointaine cousine, "l'estrade à conversation", au destin tout aussi funeste.




Il nous semble urgent de réhabiliter la fosse à conversation, maintenant que nous en connaissons les dangers et pouvons éviter les dérives qui ont causé sa perte. Peut-être que chacun peut commencer, par exemple avec une cuillère, en creusant un petit trou au milieu du salon. Tout le monde sait que les petits trous font les grandes fosses. Ce serait si suave...

3 commentaires:

Gaëlle a dit…

Archisuave, quelle bonne idée !! Merci ;-)

charlus80 a dit…

comme toujours délicieusement écrit et documenté! Mes compliments à votre archiviste!!

Popila a dit…

Je plussoie sur ce que vient de dire le Baron, votre billet est tout à fait exquis !

Vos conseils sont la sagesse même, et je vais de ce pas aller chercher une petite cuillère pour réhabiliter la fosse à conversation.