Les très suaves Heures de l'histoire contemporaine : le jour où on interdit des toilettes.
En cette fin d'année 1965, le producteur Lou Adler a de quoi être raisonnablement heureux. Débutant sa carrière musicale comme manager d'Herb Alpert, puis se découvrant des talents de compositeurs qui lui permirent d'offrir quelques chansons à Sam Cooke par exemple, il s'est lancé à partir de 1964 dans une aventure risquée, la création d'un label de musique et bien lui en a pris.
Car Lou Adler a clairement du flair. Il a compris qu'en ce début des années 60, la musique folk et sa cousine germaine la musique pop sont sur le point de détrôner la variété. Créé au départ pour distribuer les disques de Johnny Rivers (ne cherchez pas, plus personne n'en parlera après 1968), son label Dunhill Records a surtout signé le chanteur engagé Barry McGuire qui dès son premier album va décrocher un numéro 1 avec "Eve of destruction".
La guerre du Vietnam, la menace nucléaire, la conquête spatiale, la ségrégation raciale, voilà ce dont il est question dans cette ritournelle qui ressemble plus à une capsule temporelle qu'à une chanson et qui évoque si bien les préoccupations pacifistes de la jeunesse en 1965 qu'elle sera bannie de la plupart des radios américaines.
Mais comme vous pouvez le remarquer, pas la moindre mention à des WC. Il est encore un peu tôt pour faire la liaison avec le titre de ce billet mais elle arrive. Car Barry McGuire ne va être qu'un intermédiaire avec le sujet du jour.
Ce qui importe, c'est qu'au cours de ses tournées, Barry McGuire a fait la connaissance d'un quartet musical originaire de New York dont il a aussitôt tout apprécié et qu'il a invité à le rejoindre en Californie, afin de travailler avec lui et, autant en profiter, auditionner pour Lou Adler. Ce groupe est composé du couple John et Michelle Phillips, de Denny Doherty et de Cass Elliot. Et après avoir longuement hésité, ses quatre membres se font appeler The Mamas and the Papas.
Peut-on faire plus années 60 et plus "flower power" que The Mamas and the Papas ? Sans doute pas. Et n'oublions pas que depuis notre naissance, nous sommes représentés par Mama Cass, nue dans un champ de marguerites ce qui peut aisément confirmer ce que nous venons d'écrire.
En 1965, les quatre membres du groupe se rendent donc à Los Angeles, pour participer au nouvel album de Barry McGuire dont ils vont assurer tous les chœurs, qui vient en plus de leur acheter une de leurs premières compositions, intitulée "California Dreamin". Et ils auditionnent comme prévu pour Lou Adler qui, dans une sorte de délire MGM "je vous engage pour 7 ans", leur commande aussitôt 10 albums.
The Mamas and The Papas restent donc en studio et gravent une quinzaine de titres, dont le premier ne va aller nulle part mais lorsque sort leur propre version de "California Dreamin", c'est la folie. Ce groupe inconnu se classe directement à la quatrième place des hit-parade, le public découvre leurs harmonies impeccables, leur sens stupéfiant de la mélodie qui tue et leurs chanteuses, enfin surtout Michelle Phillips qui deviendra instantanément une icone.
Lou Adler, pour revenir à lui, nage en pleine félicité puisqu'en deux contrats, Barry et les Mamas and the Papas, il a décroché le gros lot. Le quatuor n'a pour l'instant qu'un single mais assez de titres pour sortir un album complet. La machine Dunhill Records se met donc en marche et la sortie est prévue pour février 1966. Et finalement, puisque le groupe est sous contrat et les chansons déjà en boite, il n'y a plus qu'une chose à faire, trouver un visuel pour le futur 33 tours et pour cela, Lou a sous la main quelqu'un de formidable, le photographe Guy Webster.
Puisque vous sentez venir la biographie synthétique de ce monsieur, ne vous décevons pas. Né à Hollywood, Guy est d'une famille appartenant au show business. Son père est un compositeur de renom oscarisé ("Secret love" pour Doris Day, "Love is a many splendored thing" pour tout le monde). Il a grandi en étant voisin de Fred Astaire, en voyant passer chez lui Duke Ellington et en jouant avec les enfants du gratin du cinéma.
Mais ce qui l'intéresse depuis toujours, c'est la photographie. Après de courtes études, il s'est lancé un peu en autodidacte et c'est presque par accident qu'il s'est retrouvé à shooter des pochettes d'albums pour Dunhill Records. Il deviendra au passage un des plus célèbres photographes musicaux des années 70, à l'origine de pochettes devenues des classiques et un des plus célèbres photographes tout court, spécialisé notamment dans les personnalités du cinéma. Illustrations avant de revenir aux toilettes.
Guy Webster ne connait pas plus les mamas que les papas mais tout le monde ayant le même âge, il se dit que la séance photo pour leur premier album devrait être une bonne partie de rigolade. Et c'est effectivement ce qu'il va se produire. Guy se rend dans la maison qu'ils louent à Los Angeles. L'humeur est bonne, on boit, on fume, on prend des drogues (1965, rappelez-vous) et on oublie un peu de faire des photos.
Et lorsque Guy réalise qu'il n'a rien fait, les Mamas et les Papas ne sont plus trop d'humeur... ou plus trop conscients. Guy leur court après, il parvient à les coincer dans la salle de bain, met vaguement la chose en scène et appuie sur le déclencheur. Il a conscience que c'est un peu n'importe quoi mais avec un peu de chance, cela collera avec le côté jeune et décomplexé du groupe.
Et cela va donner ceci :
Et ceci pour ce qui est des photos n'ayant pas été jusqu'à la pochette :
Et donc enfin : apparition des toilettes ! Roses ou blanches en fonction des sources. Nous ne connaitrons jamais la vérité.
En février, l'album "If you can't believe your eyes and ears", le premier des Mamas and the Papas sort, accompagné en mars d'un troisième single, "Monday monday" et cela va entraîner deux sortes de réaction. La chanson, elle, va être un triomphe et devenir le seul et unique numéro 1 du groupe. Elle leur rapportera même un Grammy. Donc tout va bien.
Mais l'album ne passe pas, et chaque jour Dunhill Records voit revenir des cartons entiers de 33 tours refusés par les revendeurs qui n'envisagent pas une seconde de mettre en vente un disque proposant une cuvette de toilettes aussi clairement exhibée. C'est la catastrophe pour Lou Adler, qui a forcément beaucoup investi dans le produit. Impossible de lancer une réimpression et de rappeler tous les exemplaires dont beaucoup sont déjà partis à l'étranger. Une seule solution : la vignette.
Suivant le succès des différents singles de l'album, Dunhill Records va consciencieusement coller de petites étiquettes dont la taille calculée cache la honteuse cuvette et rendre enfin acceptable le disque des Mamas and the Papas aux acheteurs de 1966 qui ne faisaient donc ni pipi, ni autre chose.
On peut y voir aujourd'hui une belle idée collection, à condition évidemment de posséder tous les exemplaires, y compris étrangers.
Il en sera de même pour les 45 tours, et ce n'est que lorsqu'une réimpression sera rendue nécessaire par le succès foudroyant du disque qu'on décidera de changer la photo, enfin de la recadrer. Exit donc le budget vignette.
Si Lou Adler est toujours parmi nous, ce n'est plus le cas de Mama Cass, décédée en 1974, ni de John Phillips, disparu en 2001, ou de Denny Doherty, emporté en 2007. Des quatre membres originaux, Seule Michelle Philipps est encore en vie. Elle a aujourd'hui 78 ans. Après une très fructueuse carrière, Guy Webster a rangé à jamais ses objectifs en 2019. Et tout cela est évidemment fort triste.
Mais ce qui nous plait le plus dans cette belle histoire du weekend, en plus d'avoir donné naissance à une pochette figurant désormais sur la liste fameuse des disques censurés on ne sait plus toujours très bien pourquoi, c'est le mot final de Lou Adler.
Car n'essayez pas de nous convaincre qu'il ne savait pas ce qu'il faisait lorsque, pour maintenir la popularité de l'album des Mamas and the Papas, il proposa à la vente une version collector dont le vinyle était coloré. Et de quelle couleur s'il vous plait ?
Jaune. Evidemment !
Si vous le trouvez un jour, conservez-le précieusement. Il pourrait vous assurer une retraite heureuse car il coûte TRES cher...
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