Parce qu'on ne peut pas éternellement empiler des boites de camembert et décoller des timbres, "Soyons-Suave Weekend" vous propose de temps à autre de suaves idées à collectionner, de quoi occuper votre temps libre et épater vos amis tout en restant suave.
Avant tout, n'ayez pas peur. La chose ci-dessus n'est ni un masque mortuaire, ni le résultat d'un cambriolage passé inaperçu dans un musée Grévin de province. Vous admirez en fait une chose rare, une authentique tête à coiffer Leclabart, en cire de qualité, aux yeux de verre et avec cheveux véritables, un objet qui donne des frissons dans tous les BEP coiffure et qu'il est grand temps de sortir des salles de travaux pratiques.
Si vous ne vous êtes jamais penché sur l'univers fabuleux de la tête à coiffer, parce que vous n'en avez jamais eu l'idée ou que vous êtes un peu gauche des ciseaux à la main, cette reproduction quasi grandeur nature de la partie supérieure du corps humain et où traditionnellement poussent les cheveux, se trouve généralement dans les écoles où on apprend les règles du carré flou et les mystères du dégradé.
Grande spécialité asiatique depuis la seconde guerre mondiale, la tête à coiffer est un objet professionnel qui n'a donc aucune utilité pour qui n'envisage pas de devenir le nouveau Franck Provost ou le successeur d'Alexandre de Paris, d'autant que la plupart du temps, une tête à coiffer ressemble à cela :
Ce n'est pas vraiment réaliste, c'est en plastique de très médiocre qualité, et cela attend fébrilement d'être massacré par les premiers essais d'apprentis coiffeur. En elle-même, la tête à coiffer ne mérite pas d'être collectionnée, sauf peut-être dans le cas d'une sévère névrose.
Et puis il y a la tête à coiffer Leclabart ! Point de plastique, point de production asiatique, la tête Leclabart fut fabriquée pendant des années à Hirson, dans l'Aisne, département dont on parle peu alors qu'il fournit à la France plus d'un monarque, de nombreux écrivains, quelques industriels et un vase cassé.
La tête à coiffer Leclabart, c'est un pan d'histoire, d'artisanat et de génie industriel tricolore, et c'est un enchantement sur une étagère dont on aura soigné l'éclairage.
A l'origine, se trouve Jules Leclabart, coiffeur de Saint Quentin qui après avoir fait ses études à Paris, revient s'installer dans la ville de sa jeune épouse, Hirson et décide d'y fonder une entreprise de postiches. Employant une trentaine d'employées, les Postiches Leclabart, font rapidement la joie des particuliers et des théâtres puisqu'ils sont d'une qualité bientôt reconnue dans tout l'hexagone.
C'est après la première guerre mondiale que les établissements Leclabart changent d'envergure, sous l'impulsion de Jean, fil de Jules, sortis bardé de médaille du conflit qui vient de s'achever et qui cherche des débouchés à l'entreprise familiale. Les perruques, c'est bien, mais la clientèle reste assez limitée. Pourquoi alors ne pas viser plus haut dans la chaine capillaire, c'est à dire les coiffeurs ?
En moins de temps qu'il ne faut pour dire "indéfrisable", la société Leclabart se met à commercialiser des présentoirs à postiches, des produits d'entretien mais surtout des têtes destinées aux écoles de coiffure qui commencent à se développer et qu'ils vont être les seuls à fournir.
Devenue la meilleure amie des coiffeurs, l'entreprise Leclabart va définitivement marquer les esprit lorsqu'en 1929, le père, Jules, a l'idée de mettre à disposition des salons la machine qui lui sert à boucler ses perruques. Adorant bricoler et s'associant avec Alsthom, il crée la société Perma qui va commercialiser l'outil électrique à boucler, le seul capable de réaliser des permanentes, d'où le nom.
A l'orée de la seconde guerre mondiale, la société Leclabart est donc un trust : elle produit des perruques, des têtes à coiffer et des articles divers pour les salons et les écoles de coiffure, elle commercialise via sa filiale Perma l'appareil à permanente. Si nous ajoutons à cela que Jean a épousé la fille du plus gros producteur de cheveux naturels français, nous pouvons affirmer que la famille Leclabart se frise, et ce sera là le jeu de mot pathétique du weekend.
Toujours considéré dans les années 60 comme le premier posticheur du monde, Jean Leclabart ne pourra rien contre la mainmise asiatique sur l'industrie du cheveux et depuis les années 80, Leclabart a intégré le groupe Eugene, spécialisé dans les produits professionnels et propriétaire, entre autre, des ampoules Keranove et des lotions Pétrole Hahn.
Mais et les têtes à coiffer ? Evidemment, leur production s'est arrêtée depuis longtemps et l'objet avec la bague "Postiches d'art J. Leclabart" est donc devenu une curiosité, puisque produit en masse, il était le plus souvent jeté lorsqu'il ne proposait plus assez de cheveux pour les travaux dirigés.
Tomber sur une authentique tête Leclabart, encore ornée de ses attributs, n'ayant pas été défigurée par des tentatives de maquillage hasardeuses ni tondue à la libération est donc un grand bonheur qui peut se vivre dans des endroits aussi divers que les vides greniers et autres brocantes perdues au milieu de la campagne, où parfois on ne sait pas très bien ce que l'on vend. Et l'on se tiendra éloigné des ventes aux enchères et des sites internet où le vintage, même pseudo, peut coûter très cher. 50 euros reste une moyenne décente pour une tête à coiffer, surtout lorsqu'elle est en cire.
Nous sommes les heureux propriétaires de quatre Leclabart, par ordre d'apparition Solange, Jacqueline, Madeleine et Odette. Elles sont très sympathiques, peu dissipées et craignent simplement les grandes chaleurs (la cire, forcément). Elles font de plus de charmants présentoirs à vieilles montures dont on ne sait jamais quoi faire.
Et comme nous le répétons à chaque fois, elles appellent à l'accumulation, partant du principe qu'un, c'est un peu triste et deux, un peu juste. En fait quatre c'est bien. Et puis comme on nous a aimablement suggéré de nous arrêter là, quatre cela sera.
Après, il est vrai, cela peut faire un peu psychopathe.