dimanche 17 juillet 2011

La question suave du jour : doit-on rire devant "Tentacules" ?


Il est des films sur lesquels il est bon de s'arrêter, afin de leur accorder la place qu'ils n'occupent pas toujours dans la très suave histoire des productions dites "tellement mauvaises qu'elles sont incontournables". Car contrairement aux idées reçues, certains films sont simplement mauvais et il en faut beaucoup plus pour qu'une réalisation médiocre accède à la catégorie supérieure.

"Tentacoli", "Tentacles", "Tentaculos", production italo-américaine de 1977, permit déjà au public du monde entier de savoir comment dire "tentacules" en différentes langues ce qui est fort utile si vous envisagez une carrière d'océanographe international. Il permit surtout à trois acteurs oscarisés de payer quelques factures, puisqu'on retrouve, entre autre, au générique, Shelley Winters mais aussi, dans le rôle de son frère journaliste, John Houston et, mention spéciale, Henry Fonda, dont le temps de tournage ne dut pas dépasser deux heures, trois si l'on compte un seul et unique changement de chemise pour faire croire que.


En tant que film, "Tentacules" n'est qu'un dérivé transalpin des "Dents de la mer", qui va, comme vous le savez certainement, occasionner un grand nombres de copies, toutes formidables, jusqu'à ce que l'on ait épuisé les possibilités de transformer un habitant des flots en tueur sanguinaire. Bizarrement "Les hippocampes attaquent" et "Killer anémone" restèrent à l'état de projet.

Ici, un poulpe géant perturbé par de mystérieuses expériences au fond des océans (nous n'en saurons pas plus) décime tout ce qui passe à porté de ses bras. Et c'est là un des détails fâcheux du film : il se trouve que techniquement, un poulpe n'a pas de tentacules. Il a des bras munis de ventouses. Son nom vient du grec signifiant "plusieurs pieds". "Bras" ou "Pieds" ont-ils été jugé en leur temps peu vendeurs ? Peu importe, le poulpe finira mis en lambeau par de gentils épaulards qui reviendront, plus grognons, dans "Orca la baleine tueuse".


Si, autant le dire, on ne frissonne pas vraiment devant "Tentacules", y trouve-t-on suffisamment d'éléments pour, au moins, rire à gorge déployée ? A priori la réponse semble non, mais les choses ne sont jamais aussi simples ni définitives.

Injustement sous-représentée sur Soyons-Suave, Shelley Winters est un des éléments qui pourraient conduire à considérer "Tentacules" comme une grande comédie. Shelley dans le film n'a que 4 scènes, elle ne participe pas vraiment à l'intrigue et surtout n'est jamais amenée à rencontrer le poulpe, indice évident dans ce genre de production qu'elle peut être coupée au montage. Heureusement ce n'est pas le cas. Par quel mystère ne disparaît-elle pas ? Comment fait-elle pour être désopilante en si peu de temps ? Cela tient en un mot : chapeau !


Nous savons tous depuis Joan Crawford dans "The Best of Everything" qu'il n'existe pas de second rôle et que trois scènes dans un film dont vous n'êtes pas la tête d'affiche suffisent, avec un peu de métier et quelques accessoires, à faire de vous le centre de tous les intérêts. Dans "Tentacules", Shelley Winters incarne une mère divorcée nymphomane alcoolique vivant au bord de l'océan avec son frère bourru. Pour son entrée en scène, Shelley est donc en négligé puisqu'elle est nymphomane et en robe de chambre puisqu'elle est divorcée (Pourquoi soigner son apparence lorsqu'on est seule ?). Son cheveu est en bataille puisqu'elle est alcoolique et les rayures blanches sur fond bleu de sa tenue évoquent l'univers marin.

Tout est en place mais qu'observe-t-on : elle cherche, farfouille, ne quitte pas ses boucles blondes un instant. Elle semble capillairement mal à l'aise.


Shelley Winters dans sa première scène n'est pas complète, on voit qu'elle craint pour son rôle, elle sera dorénavant beaucoup plus tranquille grâce au meilleur ami de l'actrice en panne de cachets : le chapeau !

Les trois autres scènes dont elle dispose seront donc une ode aux bibis et les couvre-chefs de Shelley sont à son image : simples, efficaces, inratables. Entrent donc en scène la calotte de marin ou de mousse dont on se demande comment elle tient et la casquette à visière verte portée légèrement sur le côté.


La palme et le chapeau que personne n'oubliera, est sans conteste le sombrero mutant que Shelley arbore lors de l'inscription de son fils et de son camarade à une régate qui finira mal. Est-elle venue en voiture ? Était-ce une décapotable ? A-t-elle perdu un pari ? Met-elle de l'argent de côté pour la future psychothérapie de son fils ? Autant de questions malheureusement sans réponse.


Sans le savoir, Shelley Winters vient de pulvériser le record détenu jusque là par Dorothy Sebastian. C'est un premier pas vers la réhabilitation de "Tentacules" mais bien entendu ce n'est pas assez.

Pour pleinement apprécier cette production, nous n'avons qu'un conseil à vous donner : regarder le DVD en version française AVEC les sous-titres en français. C'est à une manipulation incontrôlée que nous devons cette expérience et grâce à cela, nous comprenons enfin ce qu'ont du ressentir les soeurs Tatin devant leur tarte loupée et pourtant délicieuse : une joie inattendue. Ce n'est d'ailleurs qu'au bout de quelques minutes que nous avons réalisé que la bande son et les sous-titres semblaient évoluer dans deux dimensions parallèles, proposant à la fois la même chose et un petit je ne sais quoi en plus.

Les premières approximations se trouvent étrangement dans les nombres annoncés, qui sont pourtant les éléments les moins tendancieux à traduire. Et pourtant, lorsqu'à l'écran, une voix annonce aux plongeurs à l'abris de leur engin qu'ils ont enfin atteint les 50m de profondeur, les sous-titres indiquent clairement :


Et lorsqu'un garde-côte lance un appel assez limpide à un hélicoptère surveillant l'océan, qui est au mot près : "Police à hélicoptère 14/28", nous découvrons :


Précisons que tout cela est évidemment réalisé sans trucage. Passant sur ces petites fantaisies, il est encore plus excitant de découvrir que les sous-titres explicitent parfois le sous-texte des scènes.

Ainsi, après la découverte du cadavre de la première victime du poulpe, la police et les médecins sont circonspects, le silence et la tension montent dans la salle d'autopsie, malaise renforcé par l'intrusion presque magique de John Houston, reporter intrépide. Le chef de la police lui demande donc de sortir, ce qui donne à l'écran "Les journalistes ne peuvent pas assister à une autopsie", à quoi John Houston, bon bougre, répond "Je ne resterai pas longtemps". Maintenant la même scène et son véritable sens caché, heureusement décrypté par les sous-titres :



On le comprend mieux maintenant : ces deux hommes ne s'apprécient guère.

Nos amis sourds auxquels sont évidemment destinés ces sous-titres bénéficient parfois de précisions que nous aurions aimé avoir mais que le responsable du doublage n'a sans doute pas jugé nécessaire. Ainsi, alors que Henry Fonda s'inquiète de voir John Houston fouiller d'un peu trop près dans ses forages pas très réglementaires, son bras droit le rassure en précisant : "Peut-être a-t-il changé avec l'âge ?", ce qui est beaucoup plus technique lorsque l'on est malentendant :


Gardons pour la fin le plus savoureux : lorsque le sous-titre se fait modeste, presque censeur, franchement "père la morale".

Le personnage incarné par Shelley Winters est haut en couleur et dès sa première scène, on peut la voir lascivement se caresser les seins en déclarant "mon corps est fait pour l'amour", ajoutant qu'elle a passé la nuit avec un italien, barman dans la bande-son, coiffeur dans les sous-titres et, nous ne savons pas pourquoi, nous aurions tendance à beaucoup plus croire ces derniers. Lors d'une interminable scène d'inscription à une régate qui n'a d'intérêt que pour le sombrero déjà évoqué, Shelley termine la conversation en ajoutant alors qu'on ne lui demande rien qu'elle ne s'intéresse pas aux bateaux et que son "sport préféré se passe sur un matelas douillet, au moins on sait à quoi s'accrocher". Pourquoi diable peut-on alors voir apparaître ceci ? :



Nous continuerions ainsi pendant des heures, tenant de comprendre pourquoi les épaulards domestiqués de l'océanographe qui sauvera le film se nomment "Venise et Capri" mais aussi et simultanément "Winter et Summer" mais nous craignons d'y laisser notre santé.

Concluons donc qu'on peut franchement rire en visionnant "Tentacules" mais qu'on on ne le doit pas. Pas parce qu'il n'est pas suave de se moquer, pas non plus parce qu'il est encore moins suave de savourer l'à peu près et la médiocrité, quand on devrait lui préférer la rigueur et le sublime. Non, on ne doit pas rire de "Tentacules" car il s'agit d'un des rares exemples de films qui allie le plaisir des yeux et la joie de la lecture. On regarde, on rit. On lit, on re-rit. "Tentacules" est un deux-en-en, un double bonheur. "Tentacules est suave !

Et si vous en doutez encore, courez sur Mein Camp. Une conjonction inhabituelle de planètes, le hasard, l'inspiration, tout simplement, nous a fait, BBJane et nous-mêmes, nous pencher presque en même temps sur le même sujet. Excités ? cela tombe bien, c'est ici et cela s'appelle : "Ah si vous connaissiez mon poulpe"...

2 commentaires:

bbjane a dit…

Je dois dire que votre étude de cette œuvre, qui appelle une urgente réhabilitation, coiffe (c'est le cas de l'écrire) la nôtre sur le poteau !... Bravo ! Je suis ravie de cette conjonction de planètes, et vous remercie de ce texte qui fait le tour de la question !... Je vais de ce pas compléter mon post, en mettant un lien vers le vôtre...

Anonyme a dit…

...quel brio, c'est brillant!