dimanche 12 mai 2013

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Barbra quitta Sue.














Lorsqu'en 1970, la super agent Sue Mengers se rendit toutes anglaises dehors à la première de "Melinda" de Minnelli où l'attendait une Barbra Streisand crépue et star du film, aucune des deux femmes ne pouvait s'imaginer qu'un peu plus de 10 ans plus tard, elles ne se parleraient plus, que la seconde aurait déserté la première et que ce départ annoncerait la fin d'une des carrières les plus spectaculaires jusqu'à ce que Dominique Besnehard n'entre chez Artmedia... Ah, c'est bon de rire parfois. 

En 1981, par un coup de téléphone, Barbra Streisand annonçait à son agent depuis 1966 qu'elle mettait un terme à leur collaboration. Si ce ne fut pas une surprise ce fut en tout cas un déchirement pour Sue qui ne considérait pas Barbra comme une cliente mais comme une amie, une soeur. Mais alors pourquoi ? Warum ?  C'est la belle histoire du dimanche. 



















Si les versions divergent parfois (et vous allez vite réaliser que nombreuses voix vont se mêler aujourd'hui), une chose est certaine : c'est en 1963 que Sue Mengers va faire la connaissance de Barbra Streisand par l'intermédiaire d'Elliott Gould, monsieur Streisand et par ailleurs client de Sue. Sue travaille alors dans une petite agence, Barbra est en passe de monter sur scène dans "Funny Girl". Les deux femmes ont 10 ans d'écart, elles sont toutes deux new-yorkaises (bien que Sue soit née à Hambourg) juives et ont perdu leurs pères jeunes. C'est le coup de foudre. 

Il faudra 3 petites années pour que Sue Mengers rejoigne l'agence CMA où se trouve Barbra et ne devienne son agent attitré. Barbra se proclamera unique responsable de ce transfert, un des responsables de CMA expliquera lui qu'il a embauché Sue pour mettre fin au harcèlement qu'elle exerçait sur certains de ses clients. 






















C'est précisément chez CMA que Sue Mengers va prendre son envol grâce à une succession de "coups" qui vont assurer sa carrière et sa notoriété. Comme nous l'évoquions la semaine dernière, Sue n'a peur de rien. Si quelqu'un lui plait, elle le poursuit jusqu'à ce qu'il cède. A Tom Ewell qu'elle souhaitait dans son écurie et qui lui demandait ce qu'elle ferait de plus pour lui que son agent actuel, elle répondit : "Sucer David Merrick !". 

En très peu de temps, Sue Mengers va faire entrer chez CMA Ryan O'Neal qui joue dans la série "Peyton Place" et Ali MacGraw, fiancée du producteur Robert Evans et ami de Sue. Elle va signer Gene Hackman et Candice Bergen, Peter Bogdanovich et sa fiancée Cybill Shepherd. Et dans les mois qui suivent, Ryan et Ali vont faire pleurer la planète dans "Love story", Gene va décrocher un oscar pour "French connection" et Peter et Cybill vont triompher dans "La dernière séance". Sue a la "magic touch" : il suffit qu'elle s'intéresse à quelqu'un pour qu'il devienne une star. 


















En 1972, avec le triomphe au box-office de "What's up doc", Sue Mengers est considérée comme la femme la plus puissante d'Hollywood. Le système des studios étant totalement dans les choux, les agents sont devenus la force première du cinéma et lorsqu'on a, sous contrat, les deux stars et le réalisateur du film qui font le plus d'entrées, on est forcément le roi du monde... ou la reine en l'occurrence. 

Et rien n'arrête Sue : elle impose Robert Redford dans "Gatsby", Faye Dunaway dans "Chinatown". Elle a parfois des moments d'absence comme lorsqu'elle tente de convaincre Copolla que Ryan O'Neal serait parfait dans le rôle que le réalisateur destine à Al Pacino dans ce qui va devenir "Le parrain" mais mis à part cela, elle est en orbite géostationnaire autour du Hollywood sign. Et à un tel point que CBS va lui consacrer un portrait en 1976, du jamais vu pour un agent. 



Puisque tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, comment arrive-t-on à la rupture de 1981 avec Barbra Streisand, sa cliente préférée, sa soeur, sa famille, celle qui a été son témoin lors de son mariage avec le réalisateur belge Jean-Claude Tramont ? La réponse tient à un cheveu et à un nom : Jon Peters.

L'histoire est célèbre : alors que Barbra prépare le film "Ma femme est dingue" de Peter Yates, elle a besoin d'une perruque spécifique. On la dirige vers un coiffeur de Rodeo Drive qui s'est spécialisé dans le gratin hollywoodien et a même épousé la jeune Lesley Ann Warren à laquelle il a fait un enfant. Barbra a besoin qu'on s'occupe de ses cheveux, Jon a besoin qu'on s'occupe de sa carrière : il va laisser tomber Lesley pour Barbra en moins de temps qu'il ne faut pour poser une permanente.
























Jon Peters a toujours vécu dans le cheveu mais il a d'autres ambitions : il veut devenir lui aussi riche et célèbre. La passion qui va l'unir à Barbra va faire lever plus d'un sourcil puisque dès 1974, soit quelques mois après leur rencontre, Jon se retrouver co-producteur du nouvel album de sa fiancée. En 1976 il est producteur executif du remake de "Une étoile est née". Barbra ne fait plus rien sans lui et il veille de toutes les façons à être présent partout.

Sue Mengers doit donc à présent, à chaque nouveau projet, non seulement convaincre Barbra qui refuse tout dans un premier temps par principe et ne lit aucun scénario mais aussi convaincre Jon, ce qui est pour Sue insupportable. D'autant que Jon soutient Barbra dans ce qui est pour Sue la pire idée que sa difficile cliente n'ait jamais eu : écrire elle-même un scénario à partir d'une nouvelle d'un écrivain polonais intitulée "Yentl". Entre alors en scène le propre mari de Sue, le réalisateur Jean-Claude Tramont.

















































Né à Bruxelles en 1934, Jean-Claude Tramont est un très bel homme et un sympathique dilettante connu essentiellement pour être depuis 1973 l'époux de Sue, occasionnellement le scénariste de "Ash Wednesday" et le réalisateur de "Le point de mire".

En 1980 cependant les choses se précisent : Tramont est sur un script original pour Hollywood avec Gene Hackman (merci Sue) et Lisa Eichhorn qui a beaucoup impressionné dans "Yanks" avec Richard Gere. Il s'agit d'une petite production mais Tramont y croit.























Incapable de supporter Gene Hackman pendant la préparation, Lisa Eichhorn va se retirer du projet et être remplacée par... Barbra Streisand ce qui va conférer au film un tout autre cachet, sans mauvais jeu de mot. Le budget du film va pourtant tripler en raison du salaire faramineux que Streisand (et donc Sue) exige et en 1981 sort donc "All night long" alias "La vie en mauve" alias le début de la fin.

Les critiques de l'époque vont être partagées, Barbra se retrouvant nommée par le Razzie de la pire actrice et en même temps encensée par certains pour son rôle très Marilyn et pas uniquement en raison de sa perruque. Quoi qu'il en soit le film sera un échec, Tramont ne fera plus jamais de long métrage et Barbra quittera Sue.























Ainsi donc Streisand aurait renvoyé son agent parce que le film de l'époux de celle-ci était un échec ? La chose est totalement improbable puisque la séparation eut lieu avant la sortie de "La vie en mauve", transformant la promotion en cauchemar, Sue et Jean-Claude n'adressant plus la parole à Barbra. Il est d'ailleurs assez amusant de voir le document Ina filmé au festival du film américain de Deauville et l'interview de Tramont par France Roche au cours de laquelle le réalisateur ne parle que de Gene Hackman.

Sue Mengers comprendra quelques années plus tard, après s'être réconciliée avec Barbra, que le problème venait de Jon Peters, qui n'avait pas du tout été sollicité pour "All night long" et voyait d'un très mauvais oeil Barbra participer à un film sans lui. Le message qu'envoyait le film de Tramont était qu'on pouvait enfin avoir Barbra sans Peters, considéré par beaucoup à Hollywood comme une sangsue. Peters mit donc les choses au clair avec sa compagne : elle devait choisir entre son agent et lui. Elle choisit Peters mais pas pour très longtemps.


































Jusqu'à sa mort en 2011, Sue Mengers rendra en fait "Yentl", que Streisand finira par réaliser en 1983, comme l'unique responsable de sa rupture avec Barbra. Sue n'y croyait pas, Barbra y voyait le projet d'une vie. Mais comme le précisera l'agent : "Il n'était pas question au départ d'en faire une comédie musicale. Elle m'aurait dit qu'elle allait y chanter, j'aurais produit le film moi-même".

Le départ de Barbra sonnera en tout cas le début d'une hémorragie de clients qui finira par tuer Sue Mengers, qui, ne comprenant plus le Hollywood moderne, prit sa retraite en 1986, retravailla vaguement entre 1988 et 1990 pour cesser finalement toute activité. Elle conservera cependant la tradition de ses dîners où elle accueillera jusqu'en 2010 et toujours par groupe de 10, les personnalités les plus chics et puissantes du cinéma, dans sa ravissante maison de Beverly Hills.

















Voilà pourquoi on pleura beaucoup à l'annonce de sa disparition, attristé par l'idée qu'une certaine époque venait de s'éteindre. Y compris Barbra ? Vraisemblablement, après tout Miss Streisand a des canaux lacrymaux comme tout le monde, il n'y a que les cordes vocales qui n'appartiennent qu'à elle. 

6 commentaires:

  1. J'adore vos belles histoires. Merci !!!

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  2. C'est surtout le travail d'une équipe vous savez... :)

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  3. oui merci Monsieur Suave !! ...

    J'ai regardé son portrait par CBS, je n'imaginais pas Sue Mengers ainsi, je la pensais plus clown que cela... en tous cas j'ai aimé sa diction car elle articule chaque syllabe comme une animatrice de radio alors on la comprend bien !

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  4. c'était donc ça! ...je savez bien qu'il fallait se méfier de ce Jon Peters! ...un gars qui commence par poser des bigoudis et qui fini producteur de BATMAN, ça devait cacher quelque chose!

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  5. et que devient Lesley Ann Warren dans tout çà ? Tout le monde s'en fout, je le vois bien !

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  6. Suave Anonyme, rassurez-vous. Après un certain temps bien légitime pour digérer la rupture, Lesley Ann Warren déclarera, non seulement qu'elle n'en voulait pas à Barbra mais que le départ de Jon avait été salutaire : trop manipulateur. Désormais elle allait choisir elle-même ses rôles, ses ami(e)s et ses coupes de cheveux.

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