dimanche 9 octobre 2011

Les très suaves heures de l'histoire contemporaine : le jour où Van Johnson frôla la mort, trouva une épouse et devint une star.



En 1943, Van Johnson commence à entrevoir un peu de lumière dans ce sombre tunnel qu'est sa vie depuis qu'il a quitté en 1935 sa ville natale de Newport, Rhode Island. Après quelques années comme figurant ou doublure à Broadway (dont celle de Gene Kelly dans "Pal Joey"), il a obtenu grâce à Lucille Ball, rencontrée elle-aussi sur les planches à New York, des bouts d'essai à Hollywood qui l'ont conduit à un contrat de 6 mois à la Warner.

Ce premier contrat, qui ne le mène nulle part cinématographiquement parlant, va cependant le faire remarquer par la MGM qui le signe en 1942. Le studio de Louis B. Mayer est en panne de vedettes masculines, presque toutes parties s'engager dans l'armée et on se dit qu'il est grand temps de rajeunir les troupes. Van est athlétique, il plait aux très jeunes filles qui voient en lui un petit ami idéal. Après quelques galops d'essai, on décide donc de lui confier son premier rôle important dans "Un nommé Joe", que doit réaliser Victor Fleming avec Spencer Tracy et Irene Dunne et une autre recrue intéressante, Esther Williams, sans piscine.

Esther et Van... bon d'accord avec piscine...

Alors que le tournage est commencé depuis deux semaines, le 30 mars 1943, Van Johnson accompagné par un couple d'amis rencontré eux-aussi du temps des vaches maigres à Broadway, le comique Keenan Wynn et sa femme Evie, décident de se rendre à la première du nouveau film de Tracy et Hepburn, "La flamme sacrée" de Cukor. En chemin la voiture est percutée par un chauffard qui vient de griller un feu rouge. L'accident est violent et les conséquences tragiques pour Van dont le crâne est fracturé et le visage lacéré. Conduit à l'hôpital, on réalise vite que sa carrière est terminée.

La certitude que Van Johnson ne pourra pas finir "Un nommé Joe" ni réapparaître sur un écran est telle que la MGM contacte aussitôt John Hodiak pour le remplacer mais Spencer Tracy et Irene Dunne s'y opposent. Sans Van Johnson ils refusent de poursuivre le tournage. Ils obtiennent donc de la Metro qu'on laisse Van se rétablir et qu'on tourne toutes les scènes dans lesquelles il n'apparaît pas entre temps.

Le 28 juin 1943, moins de 3 mois après son accident, Van Johnson fait son retour sur le plateau. Il a à présent une plaque de métal couvrant tout le côté gauche de son crâne et des migraines permanentes. Les cicatrices sur son visage nécessitent un maquillage savant mais qui n’effraie pas les spécialistes de la MGM. Sorti en 1944, le film est un triomphe et Van Johnson officiellement la nouvelle star la plus prometteuse de la Metro. Il est de plus dispensé d'armée donc disponible à plein temps pour la MGM. C'est la félicité.


A ce stade, si votre coeur n'est pas de pierre, vous avez sans doute écrasé une larme et pourquoi pas lâché d'un sanglot : "C'est si beau !". Nous vous comprenons. Nous avons fait de même. Mais c'est pourtant maintenant que l'histoire devient réellement intéressante, justifiant sa place de choix dans "Les très suaves heures de l'histoire contemporaine".

Les trois mois de convalescence de Van Johnson ne se déroulèrent pas dans l'atmosphère feutrée d'une clinique californienne mais à la résidence des Wynn, dévastés par l'accident de leur ami et surpris d'y avoir échappé sans la moindre égratignure. Pendant de longues semaines, alors que Keenan tourne, son épouse Evie, ancienne comédienne devenue agent et notamment de son époux, veille sur l'ami fidèle, de longs tête-à-tête simplement interrompus par les fréquentes visites de Spencer Tracy, ce qui agace Katharine Hepburn qui connait bien les penchants de son compagnon pour l'alcool (tout le monde le sait) et pour les jeunes premiers (on le sait moins).

Van Johnson et Evie Wynn-Johnson

Evie Wynn fut sans doute une infirmière exemplaire puisqu'en 1947, elle se sépare de Keenan et épouse le lendemain d'un divorce rapidement mené à El Paso Van Johnson, entre temps devenu une véritable star Metro et qui devra pendant de longues semaines expliquer qu'il n'est pas un briseur de ménage. Le mariage durera jusqu'en 1968 et produira une fille, Van élevant au passage les deux fils d'Evie et Keenan.


Peu de temps avant sa mort, Evie Wynn aura la bonne (?) idée de revenir sur sa vie avec Van en précisant qu'elle ne l'avait épousé que sur ordre de Louis B. Mayer. Parallèlement, un des fils de Keenan, dans son autobiographie, éclairera la séparation de Van et Evie en expliquant que sa mère ne pouvait plus supporter les aventures de Van avec tous les chorus boy qu'il croisait désormais sur les planches, sa nouvelle maison depuis la fin de sa carrière cinématographique.

Bisexuel, certainement gay, en tout cas définitivement suave, Van Johnson ne s'exprimera jamais publiquement sur le sujet mais expliquera son choix de jouer dans "La Cage aux folles" en 1983 comme étant une déclaration à demi-mots. Relativement épargné dans les autobiographies de ses confrères, on trouve pourtant dans les mémoires d'Arthur Laurents une allusion à une affaire qui semble bien être celle du mariage de Van et Evie : le cas sordide d'une jeune star masculine en devenir, obligée par le directeur de son studio, afin de couvrir les rumeurs d'homosexualité le concernant, d'épouser la femme de son meilleur ami, elle-même agent, menacée de ne plus jamais travailler à Hollywood si elle n'acceptait pas l'arrangement.


En perdant une moitié de son crâne en 1943, Van Johnson échappa à l'armée, devint une des vedettes préférées de l'après-guerre, trouva un femme, mit sa réputation à l'abri, eut une fille et put envisager de mourir sereinement en 2008 à l'âge de 92 ans, un peu oublié, certes, des nouvelles générations de cinéphiles qui ne regardaient sans doute pas "Arabesque" ou "La croisière s'amuse" mais toujours présent dans le coeur de ses anciennes admiratrices qui continuaient de voir en lui un homme comme les autres, à ceci près qu'il devait bipper dans les aéroports. Maigre prix à payer, finalement, pour une vie en apparence tranquille...

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