dimanche 3 février 2013

Les très suaves heures de l'Histoire Contemporaine : le jour où Cole Porter fut plagié et le prit en vrai gentleman.
















En 1951, l'une des personnalités hollywoodiennes dans la peau de laquelle nous aurions trouvé fort suave de pouvoir nous glisser (ne serait-ce qu'une journée) est sans aucun doute possible Arthur Freed et cela pour trois raisons. 

Tout d'abord il travaille à la MGM dont il est l'un des plus puissants et respectés producteurs. Ensuite il est l'intime de Judy Garland dont il a lancé la carrière en produisant 14 de ses films depuis "Le magicien d'Oz". Et enfin, il peut commander quand bon lui semble une chanson à Cole Porter, ce qui est même au delà du suave : le rarissime Uber-Suave. 















Freed est donc l'équivalent de Dieu le père au sein de la MGM dont le responsable, Louis B Mayer, est également considéré comme le Créateur Suprême. Voilà pourquoi nous nous devons de changer notre comparaison et de l'aborder sous un angle plus polythéiste : Freed est le Zeus d'un univers dont Mayer serait Cronos.

Et quel chemin pour celui qui débuta comme pianiste puis se fit parolier à succès, auteur, metteur en scène, directeur de revues burlesques et enfin producteur. Sans Freed, point de Judy, de Gene Kelly, de Lena Horne ou de Vincente Minnelli. Point de Fred Astaire en pré-retraite de la RKO ou de June Alysson ou de Cyd Charisse. Tous ces gens existaient bien évidemment avant Freed mais que serait-il advenu de leur carrière sans lui ? Nous ne le saurons jamais.
























L'influence de Freed sur la comédie musicale hollywoodienne a été abondamment commentée et tous les auteurs s'étant penché sur son cas sont unanimes pour souligner que le génie de Freed fut, non seulement de savoir s'entourer, mais également de parvenir à distinguer la trace de génie chez ses futurs collaborateurs, qu'ils fussent chorégraphes, costumiers ou arrangeurs musicaux.

Gene Kelly venait de Broadway et jouait les utilités à la Columbia quand Freed l'engagea. Stanley Donen avait 25 ans et aucune expérience lorsque Freed lui confia la coréalisation de "Un jour à New York". Roger Edens était le pianiste de Ethel Merman et un petit arrangeur pour la MGM et Freed le nomma responsable du service musique de son unité de production, dont la première réalisation fut "Meet me in Saint Louis".






















Comme nous l'évoquions hier, en 1950, alors qu'une partie de l'équipe s'échine sur ce qui va devenir "Un américain à Paris", Freed lance le projet d'un film qui s'inspirerait de ses chansons composées avec Nacio Herb Brown du temps de la préhistoire, c'est à dire les heures lointaines, sombres et chaotiques des premiers pas du cinéma parlant et dont le titre sera "Singin' in the rain".

Et comme l'expliquent avec malice les scénaristes Comden et Green qui héritent du projet, tout était à faire avec une seule certitude : l'évidence d'une scène au cours de laquelle quelqu'un chanterait alors qu'il pleut. On pense tout d'abord à un projet pour Howard Keel, une histoire de cowboy chantant mais puisque que les chansons qui doivent être utilisées ont été écrites entre 1929 et 1932, Green et Comden décident de situer l'histoire aux premiers temps du cinéma parlant, de faire du héros un chanteur-danseur et on appelle Gene Kelly.

















Kelly n'a aucune idée que le film qu'il vient tout juste d'achever va remporter l'Oscar du meilleur film, il est par contre certain de vouloir retravailler avec Oscar Levant qu'il a trouvé magnifique dans "Un américain à Paris". Mais problème : le scénario de "Singin' in the rain", qui a déjà été maintes fois réécrit, exige que l’acolyte de Gene sache danser. Exit Oscar et on engage Donald O'Connor.

Connu pour avoir été le compagnon de "Francis la mule qui parle", succès surprise de 1950 auquel on donnera 5 suites, Donald O'Connor va épater l'équipe de "Chantons sous la pluie" qui n'avait pourtant pas pu ne pas savoir qu'à 25 ans, il est déjà un vétéran de la scène, née dans une famille de danseurs et débutant lui-même devant les caméra à l'âge de 12 ans.



De l'avis de Gene Kelly, de Stanley Donen et de Comden et Green, il faut un solo à O'Connor démontrant à la fois ses talents de danseurs mais aussi de clown et c'est alors (enfin vous direz-vous) que commence la belle histoire du dimanche.

Accélérons au cas où vous la connaissiez déjà : rien ne convenant dans le catalogue des chansons composées par Freed, Kelly, Donen et surtout Roger Edens, responsable de la musique demandent à Freed de composer une nouvelle chanson. "Mais dans quel esprit ?" demande-t-il . Dans celui, par exemple, de "Be a clown" que Cole Porter a écrit pour "The Pirate", production Freed de 1948 et qui donnait ceci :



Freed s'enferme donc dans son bureau, en ressort quelques temps plus tard une partition à la main. On file en studio répéter avec l'orchestre, on écrit les arrangements, on fait venir Donald O'Connor qui l'enregistre et cela donne cela : 



Oui, à quelque chose près, c'est la même chanson.

Mais Arthur Freed étant Zeus, on ne peut pas lui faire remarquer qu'il n'a pas écrit une chanson dans l'esprit de "Be a clown" mais simplement réécrit "Be a clown". Les versions concernant ce qui suivit divergent mais se retrouvent sur un point : le malaise qui gagna peu à peu l'équipe fut tel qu'on fit venir en studio le monumental compositeur Irving Berlin qui après simplement 8 mesures s'écria "Mais c'est "Be a clown", qui a écrit ça ?" ce qui entraîna un grattement de gorge de de Freed et un départ précipité pour une pause déjeuner.






















C'est par Berlin lui-même, dont il était un des amis intimes, que Cole Porter fut prévenu du plagiat qu'il préféra considérer comme un hommage, se refusant, d'ailleurs, et par principes, à se brouiller avec un collègue parolier. Sa chanson avait de plus été composée en 1948, on saurait donc aussitôt qui a copié qui.

Ce n'est pas exactement ce qui se passa. En 1948, "The Pirate" passa presque inaperçu quand "Singin' in the rain" rapporta plus de 7 millions de dollars en quelques semaines après sa sortie en avril 52. Le numéro de Donald O'Connor devint presque instantanément un classique et il n'est rare qu'encore aujourd'hui, on s'étonne que Cole ait si outrageusement copié "Make 'em laugh" en écrivant "Be a clown".

C'est évidemment injuste. Mais une fois encore Cole Porter nous donne une leçon de suavitude. Et point positif : lui ne fut pas transformé en réclame pour matelas. Mais si, souvenez-vous :



Bon ben à ce soir ?

1 commentaire:

Jérôme (moins anonyme) a dit…

C'est malin... maintenant c'est cette dernière version que j'ai dans la tête...